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Le prix, et l’honneur, de la nationalité suisse

Qu’il soit fiscal ou social, le prix d’un ticket pour le paradis des Confédérés est des plus dissuasifs. Pour l’UDC c’est encore trop bon marché, d’où une remise en question ubuesque des naturalisations.

Douce Suisse: ce refrain est entonné par un nombre de plus en plus grand de Français fortunés (idole comme Johnny, ou pestiféré comme l’avide ex-patron de Vinci Antoine Zacharias) mais aussi de Suédois (Kamprad, l’empereur d’Ikea) ou d’Allemands, comme le vrombissant retraité Schumacher, parmi les plus connus à venir chercher refuge fiscal dans la paradisiaque Helvétie.

Au point que l’Union européenne s’est crue obligée de rappeler qu’un code de bonne conduite fiscale existait entre les Vingt-Cinq et que les Vingt-Six — les vertueux cantons — feraient bien d’en prendre de la graine.

Mais soyons justes: la Suisse sait aussi se montrer généreuse avec ses propres concitoyens et il flotte même ces jours-ci, à quelques encablures d’une année électorale, comme un parfum de Noël politique. Avec, rien que cette semaine, trois catégories de citoyens dorlotés: les héroïnomanes, les paysans et les libraires. Le Conseil national a en effet ancré dans la loi une pratique née il y a douze ans dans l’urgence, la prescription médicale d’héroïne, malgré l’hostilité des agrariens, qui y voient, tel le délicat Oskar Freysinger, «un déni de civilisation» — ou du petit parti évangéliste qui dénonce les pratiques «d’un Etat empoisonneur».

Dans le même temps, le Conseil des Etats mettait un peu d’eau tiède dans le vin glacé de la politique agricole en gonflant de 150 millions l’enveloppe rabotée prévue par le Conseil fédéral. Enfin les libraires, surtout les petits libraires, se réjouiront de constater que le Conseil national a refusé une proposition de l’UDC d’enterrer définitivement un projet de réglementation du livre tendant au prix unique. Le paradis on vous dit. Mais le paradis cela se mérite, cela a un prix, surtout quand on n’a eu pas chance d’y naître, ni l’habileté et le talent d’amasser une fortune capable de vous ouvrir les portes du forfait fiscal.

Heureusement, l’UDC qui semble le connaître, elle, ce prix, veille au grain et multiplie les initiatives, propositions et interventions, parfois contradictoires, pour rendre le plus compliqué et le plus aléatoire possible l’obtention du fameux sésame à croix blanche. Il y a d’abord eu une motion demandant la suppression de la double nationalité, autorisée depuis 1992, au motif que les double nationaux ne seraient que de vilains opportunistes n’ayant qu’une chose en tête: le beurre, l’argent du beurre et la fille qui vend le beurre, autrement dit profiter ouvertement, scandaleusement des avantages liés à la possession de deux passeports. Des gens moins fiables aussi, et même moins suisses, puisque qu’ils divisent impunément par deux l’amour de la patrie et la fidélité au drapeau. Puis, il y a eu l’idée brillante de la nationalité récusable: une personne fraîchement naturalisée pourrait perdre son statut de citoyen suisse en cas de manquement grave à la loyauté nationale.

Couplées, ces deux propositions pourraient déboucher sur l’intéressante création d’apatrides d’un nouveau genre. Le secrétaire général du parti Gregor Rutz, explique dans Le Temps que ce n’est pas grave, puisque «l’essentiel est de faire passer le message qu’accorder trop généreusement la nationalité suisse pose problème». Avant d’avancer une autre proposition: la naturalisation à l’essai, avec un passeport suisse qui ne serait d’abord que provisoire, le temps — «deux à cinq ans» — que le candidat fasse la preuve de sa suissitude profonde.

Mandaté par Blocher, l’Office des migrations (ODM) planche d’ailleurs sur un scénario de ce genre. Alors qu’une étude du Fonds national montre que le processus d’obtention de la nationalité suisse est le plus restrictif et le plus arbitraire d’Europe, avec de délais de résidence deux à trois fois plus long que dans l’Union, des décisions prises au niveau communal, donc à plusieurs vitesses et des critères au flou très folklorique comme «la courtoisie, le zèle, la réserve politique et la réputation». Rappelons aussi aux gauchistes blochériens qu’un grand pays civilisé pratiquait encore, il n’y a pas si longtemps, à vaste échelle contre les éléments jugés suspects, la déchéance de citoyenneté: la très regrettée URSS.

Mais l’UDC a raison: le sujet est d’importance et mérite d’être poussé au bout de sa logique. On pourrait ainsi poser que les Suisses les plus suspects, les plus susceptibles de déloyauté, sont ceux qui n’ont fait aucun effort, n’ont déployé aucun mérite ni aucune volonté pour l’être, à savoir ceux qui sont nés suisses. A cet égard, pourquoi ne pas étendre le principe de la vérification à chaque citoyenne, chaque citoyen, avec des examens réguliers du comportement pour déterminer qui est digne de cet invraisemblable, de cet himalayesque honneur d’être suisse? Il faudrait même se montrer spécialement vigilant, si l’on veut rester sur ce terrain de l’absurde, envers tous ceux qui par leurs discours, leurs initiatives, leurs votes, ou le pillage organisé des ressources fiscales de leurs voisins, donnent de la Suisse l’image d’un pays xénophobe, arrogant, sans scrupule et portent ainsi gravement atteinte aux intérêt nationaux sur la scène internationale.