Chic, enfin une votation passionnante où chacun va jouer à la roulette russe avec son propre budget, et où le citoyen aura le choix entre la prudence de sioux et le gros caca nerveux.
Les dérapages de Doris Leuthard sur la peau de banane des forfaits fiscaux les auront un peu éclipsés, mais les partisans de la caisse unique viennent de présenter, dans une belle cacophonie pourtant, leurs arguments. Après les opposants en décembre et le coup de gueule de Couchepin sous le sapin, mettant en garde contre la croyance au Père Noël unique.
C’est qu’elle approche à grands pas, cette votation du 11 mars qui promet d’être mémorable et où chacun va un peu jouer à la roulette russe avec son budget, tentant, calculette en mains, de savoir s’il fera partie des gagnants ou des perdants, s’il verra ses primes baisser ou exploser, dans le cas où les 87 caisses maladies actuelles seront dépossédée de la gestion de l’assurance de base au profit d’un l’établissement étatique unique. En réalité il s’agirait plutôt de disposer d’une bonne vieille boule de cristal.
En cas de oui le 11 mars, ce ne serait en effet que le principe de la caisse unique qui entrerait automatiquement en vigueur, mais pas sa modalité de fonctionnement. Le parlement, qui devra bricoler concrètement le tout, n’aura qu’une contrainte à respecter: fixer le montant des primes en fonctions des capacités économiques des assurés. Mais pour y parvenir, chacun des groupes politiques — Verts, PS, extrême gauche — ou des associations de médecins ou de patients favorables à la caisse unique, propose sa solution: extension des subsides à une tranche plus large qu’aujourd’hui, primes encaissée par l’impôt ou directement sur le revenu comme dans le système AVS, etc. Et puis, le parlement étant ce qu’il est — un conglomérat peu fiable de lobbyistes divers — peut-on lui faire d’avantage confiance qu’aux marchands du temple des assurances privées?
Les moyens esquissés pour financer l’augmentation des subsides ou la baisse des primes ne sont pas d’ailleurs tous coulés dans une clarté aveuglante. Il y a par exemple cette surprime progressive pour les plus riches, que propose Pierre-Yves Maillard, et qui ferait qu’avec un revenu de 100’000 francs on payerait 2,50 francs de plus par mois, somme qui passe à 250 francs pour un revenu de 200’000 et qui condamnerait par exemple, comme le calcule l’Hebdo, le patron de Novartis Daniel Vasella à payer une prime mensuelle de 50’000 francs.
Ou les gains de productivité qu’une caisse unique serait censée générer, avec une obligation moindre de constituer des réserves, et la suppression des frais occasionnés par les passages d’une caisse à l’autre. Et bien sûr la diminution des frais administratifs: pour les assureurs privés, ils se montent, annuellement, à 1 milliard tandis que la caisse unique autrichienne les limites à 600 millions. Tout cela a la solidité des sables mouvants.
Le problème c’est qu’en face, du côté des partis de droite, et des assureurs, les arguments ne sont guère plus consistants. Décrire, à la Couchepin, la caisse unique comme un monstre bureaucratique et inhumain, c’est se payer de mots et patauger dans une logomachie néo-libérale à deux sous. Chanter les bienfaits de la concurrence qui permettrait aux assurés de faire baisser leurs primes quand ils le veulent, n’est pas loin du mensonge pur et simple: chacun a pu expérimenter qu’une baisse des primes s’obtient moins en changeant de caisse que par le jeu des franchises, c’est-à-dire en acceptant bêtement de prendre d’avantage de risques.
Résultat: les deux camps affirment, chiffres contradictoires et généralement incompréhensibles à l’appui, que c’est le gros des troupes, à savoir la légendaire classe moyenne, qui va profiter de la caisse unique, ou au contraire en payer lourdement le prix. Si l’on admet que rares seront ceux qui voteront les yeux fermés, pour le principe «d’un financement plus équitables des coûts de la santé», les autres, tous les autres — sauf les quelques bienheureux qui auront réussi à se forger une conviction mathématique — seront confrontés à un dilemme passionnel des plus excitants, entre exaspération et prudence de sioux.
A savoir signifier vertement leur colère aux assureurs privés qui les ont tondu depuis quinze ans par des hausses successives et ininterrompues, et qui affichent avec cynisme les signes extérieures de leur lourde prospérité, mais en prenant alors le risque d’échanger un borgne contre un aveugle et de se retrouver mis en coupes encore plus claires. Ou faire le poing dans la poche en jouant le statu quo, en oubliant les Mercedes, Ferrari, Porsche et autres Bentley de Pierre-Marcel Revaz, le patron du groupe Mutuel. Selon le frileux principe que, quitte à être mangé, autant savoir d’avance par qui et comment.
