Faire le maximum avec un minimum de moyens. Un sacerdoce qui rappelle le Dogma des cinéastes danois et que suivent au bip près les adeptes de micromusic.
Ces puristes s’imposent de ne composer de la musique électronique que sur du matériel 8-bit, c’est-à-dire de vieilles consoles Nintendo, des ordinateurs Amiga, toute une génération de machines pourries échappées des années 80 — époque sacrée de ces obsédés de la bidouille informatique. Bacalao, graphiste et musicien basé à La Chaux-de-Fonds (Neuchâtel), fait partie de cette clique d’irréductibles amateurs des sonneries de Pacman.
Bacalao, de son vrai nom Carlos Da Silva, pourrait bien échapper à l’anonymat dans lequel son genre musical de prédilection l’enferme depuis bientôt dix ans, puisque le label américain Astralwerks — qui n’est rien moins que l’importateur de groupes comme Air et de Placebo aux Etats-Unis — lui a proposé de participer à une compilation en hommage à Kraftwerk.
Son morceau, une reprise de «The Robots» à la sauce 8-bit, figurera même en ouverture de cet album très attendu. Le rapprochement n’a rien de fortuit. «J’ai toujours flashé sur Kraftwerk, dit Bacalao. Leur musique colle tout à fait à l’esprit micro. Comme nous, ils traitent des signaux pour produire des sons.» Dans le même esprit «arte povera», les quatre Teutons avaient d’ailleurs enregistré un morceau au moyen de calculettes au début de la décennie 80.
Bacalao doit au mégaphone du net une telle présence sur un label renommé. Après avoir publié plusieurs titres vers 2003 sur la plateforme micromusic.net, un site dédié au genre que trois Suisses alémaniques ont créé dans les années 90, son nom a obtenu une certaine notoriété dans le petit milieu du 8-bit.
«On m’a rapidement demandé de me produire en live à l’étranger. Chaque utilisateur de la plate-forme se décarcasse pour promouvoir le genre dans sa ville.» Jusqu’à être remarqué par Jeremy Kolosine, un fan de micromusic et, ce qui tombe bien, le frère du patron d’Astralwerks. Le label possède déjà les droits de distribution Kraftwerk aux Etats-Unis, le disque prend donc rapidement forme.
Il s’agit pour le Chaux-de-fonnier d’une première sortie dans les bacs. Jusqu’ici, ses nombreux morceaux s’échangeaient gratuitement entre internautes sur des sites de téléchargement. «Le net était mon unique vitrine, je n’ai jamais cherché à vivre de ma musique. Cela m’octroie une totale liberté de création.»
Au-delà de la communauté 8-bit, la micromusic pourrait franchement cartonner, et Bacalao le premier, avec ses détournements tordants comme «Ton pire ennemi» (un titre de la chanteuse guimauve Lorie qu’il souille méthodiquement), mais aussi ses propres compositions tout en boucles planantes, breaks et rythmiques parfaitement cheap. Un peu comme si Donkey Kong préfigurait l’avenir de l’électro.
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8-Bit Operators, “An 8-Bit tribute to the music of Kraftwerk”. Sortie mondiale: 6 février 2007.
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 25 janvier 2007.