Kantha Sani travaille depuis deux ans au stand Elvetino de la voie 6 à la gare de Genève. Son réveil sonne chaque jour vers 3h du matin, assez tôt pour arriver à l’heure de l’ouverture de son snack-bar à 4h30. Des petits matins glaciaux pour ce ressortissant sri-lankais qui a du mal à se réchauffer avec la petite installation électrique de son échoppe: «On est bien obligé de travailler», se résigne-t-il. Ce serveur sans formation gagne 19 francs net par heure.
C’est un fait établi, la restauration ferroviaire n’est pas rentable. Le nombre de Railbars n’a cessé de décroître depuis quelques années, tandis que les CFF épongent les dettes de leur filiale rachetée en 2003. Pour réduire les coûts, Elvetino embauche en priorité des employés bon marché, qui parlent à peine une des trois langues nationales et dont la résistance présente aussi ses limites.
«Parfois, un employé ne se réveille pas à temps pour assurer son service. Comme personne n’accepte de le remplacer, il arrive que le wagon-restaurant reste fermé pendant une demi-journée», nous glisse une employée des CFF.
Mais ce n’est de loin pas la pire embûche pour Elvetino. La piètre qualité des marchandises proposées à bord des chariots invite les voyageurs à se ravitailler en gare où l’offre s’est sensiblement diversifiée ces dernières années. Et, ironie du sort, les progrès réalisés dans le domaine de la rapidité des trains limitent le temps passé à bord. Les besoins de consommer diminuent.
Ces changements d’habitudes ont poussé Elvetino à se renouveler. En inaugurant des stands mobiles qui se déplacent au gré du flot de passagers dans les gares d’abord, et, plus récemment, des stands fixes comme à Genève-Cornavin et dans la Salle des Pas-Perdus à Lausanne. Cette concurrence interne va-t-elle définitivement creuser la tombe de la restauration à bord?
«Certes, c’est une concurrence, mais je préfère qu’elle vienne de notre côté plutôt que d’un rival», précise Yvo Locher, directeur général de la société de catering. Elvetino a surtout décidé, sous l’impulsion de son patron, de mettre les bouchées doubles au niveau de la qualité. Elle coopère avec le chef étoilé Philippe Rochat qui a concocté des repas pour les wagons-restaurants.
Plus récemment, elle a troqué le jus de chaussettes de ses Railbars contre des espressi mousseux: «Le café filtre stocké dans des thermos prenait un goût acide au fil de la journée. Nous avons alors employé du café lyophilisé, dont le principal mérite était de conserver une saveur constante, mais ce système avait, à mon avis, un côté pique-nique. C’est la raison pour laquelle nous avons équipé un quart de nos chariots, depuis octobre dernier, de vraies machines à café, un gros défi technique», explique fièrement le directeur.
Il a fallu développer des batteries spéciales, légères et mobiles, pour alimenter les machines et trouver l’appareil assez résistant pour supporter les à-coups du train.
C’est aujourd’hui chose faite et le succès semble au rendez-vous. L’entreprise communique une progression de 20% sur la vente de café depuis l’introduction des machines. Un chiffre très encourageant dans la mesure où le breuvage qui bénéficie traditionnellement des marges les plus hautes dans la restauration représente environ 30% du chiffre d’affaires global des Railbars.
Conséquence de ce boom: de nouveaux chariots circulent dans les trains. Après un net recul en 2005 avec 170 véhicules supprimés, leur niveau retrouve en ce début d’année celui de début 2006, c’est-à-dire une centaine de chariots desservant trois cents trains par jour. Même les défauts des machines à café, leur lenteur et leur bruit, se transformeraient en atouts: «Le son de la machine et l’odeur de café qui embaume le wagon appâtent les clients.»
En dépit de ces efforts, Elvetino demeure largement déficitaire: «Les CFF injectent chaque année plusieurs millions dans la compagnie», déclare Jean-Louis Scherz, porte-parole des CFF. «La logistique très lourde qu’implique ce type de restauration et les heures creuses sont responsables de ce déficit difficile à réduire», ajoute de son côté Yvo Locher.
Les CFF tiennent pourtant à ce service: «Il s’agit d’une prestation complémentaire de la même nature que les objets trouvés, on aurait de la peine à imaginer un train sans possibilité de se restaurer», insiste le porte-parole. A l’heure où la hausse des tarifs annoncée par l’ancienne régie laisse un goût amer dans la bouche des usagers, les espressi mousseux ne suffiront peut-être pas à le faire passer.