La canalisation des forces politiques en deux camps appelés à alterner au pouvoir est remise en question dans de nombreux pays européens.
Malheureux coup de bluff du ministre italien des Affaires étrangères mercredi dernier au Sénat: après avoir longuement développé les méandres d’une politique étrangère plus que byzantine, Massimo D’Alema a lancé au visage de sénateurs qui n’en demandaient pas tant: «Sans majorité sur la politique étrangère, nous rentrons tous à la maison.»
Il était bien sûr intimement convaincu d’obtenir une majorité, son discours visant justement à amadouer les franges centristes qui avaient jusqu’alors résisté au sex appeal du gouvernement Prodi. Or il ne parvint qu’à obtenir des abstentions. Et fut renvoyé à la maison par 158 voix contre 136 et 24 abstentions, la majorité nécessaire à la survie du gouvernement étant de 160.
Dire que le naufrage de la coalition dirigée par Romano Prodi est une surprise serait exagéré. Je l’avais pronostiqué sur cet écran en juillet dernier. Sans grand mérite, tant le rassemblement prodien était hétéroclite, fondé de surcroît sur un avantage de seulement 25’000 voix aux législatives.
Ce qui est intéressant dans l’analyse du vote des sénateurs n’est pas la défection de deux communistes (issus de deux partis concurrents!), mais les 24 abstentions. Elles annoncent malgré tout un déplacement politique possible vers le centre droite, du côté de ces anciens démocrates-chrétiens qui avaient lié leur bonne fortune à celle de Silvio Berlusconi.
Mais selon toute vraisemblance et compte tenu des pesanteurs traditionnelles de la classe politique italienne, il faudra encore un temps de maturation pour que ce recentrage entre dans les faits. Nous allons donc assister au cours des jours qui viennent à toutes sortes de conjectures pour résoudre la crise. Et, au bout du compte, à l’application d’un emplâtre peu efficace sur une formule de gouvernement encore moins efficace.
Il est possible que Prodi soit reconduit à la tête du gouvernement dans l’espoir que quelques mois supplémentaires permettront aux centristes d’accoucher une formule magique.
Il est aussi possible que — le réchauffement climatique le permettant — le président Napolitano recourre à un gouvernement qu’autrefois l’on qualifiait de «balnéaire» pour administrer les affaires courantes en attendant mieux. Il est encore possible (mais peu probable car Berlusconi ne l’exige pas) que le parlement soit dissout et le peuple appelé à voter, ce qui permettrait à une nouvelle génération de politiciens d’émerger.
Restent deux réalités incontournables, la première tient au système électoral, la seconde au refus profond du système bipartisan par les Italiens comme d’ailleurs par la plupart des pays non anglo-saxons.
Le système électoral en vigueur avait été mis au point par Berlusconi pour tenter de sauver son pouvoir alors que tout le monde annonçait sa chute. On sait que cela ne fut pas suffisant. Aujourd’hui, droite et gauche s’accordent sur la nécessité de le réformer.
Il y a même un référendum en marche pour le faire. Mais un scrutin simplifié ou plus équitable ne suffira pas équilibrer les forces ni à les dynamiser.
La question du bipartisme ou, en d’autres termes, de la canalisation des forces politiques en deux camps appelés à alterner au pouvoir est plus intéressante, parce qu’elle concerne de nombreux pays européens.
On le voit ces jours-ci en France où Bayrou jouant la victime du tiers exclu tient le haut du pavé médiatique. On l’a vu il y a quelques mois en Allemagne où, au contraire, pour exclure tout tiers, socialistes et démocrates-chrétiens ont préféré jouer la carte de la grande coalition.
Or il s’agit dans ces deux cas de pays qui ne connaissent pas l’extraordinaire fragmentation italienne où Prodi, pour constituer une coalition de centre gauche, a dû donner des gages et distribuer des prébendes à une bonne demi-douzaine de partis, sans compter leurs tendances internes. Cette fragmentation génère sa propre logique: le gouvernement au centre par l’accord de forces consistantes du centre gauche et du centre droite.
On voit se profiler le centre gauche autour des anciens communistes et démocrate-chrétien. Reste à savoir qui à droite, de Berlusconi ou de Fini, leur tendra la main pour construire une majorité stable. Et, surtout, sous quel emballage ils vont présenter cette conversion au centrisme après avoir hurlé au loup pendant des années.
