Ils sont jeunes et vivent sous le même toit, mais ils ont choisi de garder chacun leur espace et leur lit. Mauvais signe? Au contraire, répondent plusieurs couples romands qui trouvent ainsi un moyen d’éviter la routine.
On parle souvent de chambre séparée pour des couples qui ne s’entendent plus. Pour nous, au contraire, cela met du piment dans notre relation.» Marcia Haldemann et Hugo Amoroso, 27 et 28 ans, sont ensemble depuis quatre ans et demi. Cet été, ils emménageront sous le même toit. C’est Hugo qui viendra partager le 3,5 pièces lausannois de Marcia. Si le salon, la cuisine et la salle de bains seront des pièces communes, chacun aura sa propre chambre avec son lit. «On sera comme des colocataires, sauf qu’on est amoureux», résume Hugo.
Cette façon d’envisager le couple au quotidien, chez des jeunes de surcroît, peut surprendre, mais semble séduire de plus en plus. «Souvent, après une première réaction d’étonnement, les personnes à qui nous en parlons trouvent ce mode de vie intéressant et se disent: pourquoi pas? Un couple d’amis proches a même suivi notre exemple», explique Sascha Heiniger, 35 ans, responsable des relations publiques pour une grande marque de voitures. Voilà un an et demi que ce Zurichois partage un appartement avec sa compagneAndrea, 30 ans.
Au lieu d’être le résultat d’un conflit, cette séparation des espaces se veut au contraire préventive: elle permet justement de s’épargner des disputes inutiles. «A l’usage, cela évite toutes sortes d’énervements», confirmeVéronique Schneider, 32 ans. Avec son ami Frédéric, ils se sont établis à Perroy (VD) voici près de deux ans, et ont un petit garçon de 8 mois. «On fait des concessions pour les espaces communs. Par contre, pour les chambres, l’autre n’a pas son mot à dire. Par exemple, Frédéric a installé des cornes d’animal au-dessus de l’une de ses étagères… C’est un objet que je n’aimerais pas dans ma chambre, tout comme lui ne voudrait pas de certains de mes tableaux. Cela dit, j’ai énormément de plaisir à dormir dans sa chambre, en sachant que c’est son espace.»
Il est rare, à l’heure actuelle, que les jeunes passent directement du nid familial au foyer conjugal. Il existe souvent une période intermédiaire de vie en colocation ou en studio. Conséquence: au moment d’emménager, le couple se retrouve fréquemment avec deux (souvent grands) lits à disposition, de quoi meubler deux chambres.
On l’imagine bien, avoir chacun sa chambre ne signifie pas pour autant dormir tout seul. Loin de là. La chambre séparée pimente l’intimité de ces jeunes couples. «On peut continuer à dire: on va chez toi ou chez moi?», sourit Marcia. «C’est un gage contre la monotonie», complèteVéronique. Les deux jeunes femmes partagent la même image peu amène d’une chambre à coucher commune classique, avec son grand lit et ses deux petites tables de nuit. «Nous dormons toujours ensemble, explique Véronique. Mais nous décidons chaque soir dans quelle chambre nous allons nous coucher. Cela dépend des périodes. Je ne sais pas ce qui fait qu’on se décide pour telle ou telle chambre, mais nous aimons bien changer.» Marcia et Hugo envisagent eux aussi de passer la grande majorité de leurs nuits ensemble, et se réjouissent de la variété que vont leur offrir leurs deux chambres. «J’ai un lit de taille moyenne à même le sol, tandis que le lit d’Hugo est plus petit et en hauteur,
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Sara Bognuda Bouvet, psychologue-psychothérapeute FSP et sexologue.
La pratique de la chambre séparée est-elle inquiétante?
Cela ne m’évoque pas quelque chose de négatif. Aujourd’hui, tout l’enjeu du couple consiste à écouter l’autre et soi-même pour tendre vers quelque chose de confortable, sans pour autant confondre confort et statique. Vivre en couple se révèle d’emblée un peu incommodant car l’autre est forcément différent. Mais si on vit le couple comme une aventure au quotidien, cet inconfort devient un prix facile à payer au vu de ce qu’on en retire.
Le phénomène est-il, selon vous, en augmentation?
Je ne pense pas. Par contre, je crois que l’on est beaucoup plus libre actuellement de revendiquer la chambre à part que ne l’étaient nos parents.
Peut-on conseiller cette démarche à un couple?
Cela peut effectivement se révéler très positif, notamment pour l’espace que cela procure aux deux partenaires. Mais si le but consiste à échapper à la routine, je me méfierais. L’un des enjeux du couple est aussi d’apprendre à saisir le côté mystérieux et merveilleux du quotidien. Aussi, si l’on a la chance aujourd’hui d’avoir beaucoup gagné au niveau de la liberté individuelle, tout l’art consiste à ne pas s’enfermer dans cette individualité qui peut, à l’extrême, emprisonner dans la solitude.
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Une version de cet article est parue dans Migros Magazine du 12 février 2007.
