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Le rouge à lèvres de Madame de Quattro

Chaque année, à pareille époque, le débat sur la place des femmes en politique est relancé. Avec un bilan qui reste tout sauf glorieux. Exemples, avec des noms.

La commémoration des 50 ans du premier vote féminin –- illégal — dans la petite commune haut-valaisanne d’Unterbäch, l’inévitable journée internationale de la femme, le 8 mars et les attaques assez sournoises d’Yvette Jaggi contre la candidate radicale au Conseil d’Etat vaudois Jacqueline de Quattro, ont ranimé le déjà poussif débat sur la place et le rôle des femmes en politique.

Il faut dire que le bilan n’est pas bien glorieux. Deux chercheuses de l’université de Genève évoquent, dans Le Temps, ce qu’elles appellent «un fossé de genre» propre à la Suisse et qu’on n’observe pas dans les autres pays: un recul de la participation des femmes aux scrutin électoraux depuis 1999: 53% des hommes ont voté aux dernières élections fédérales contre 40% des femmes, alors qu’en 1995, l’écart n’était que de 7 %, et qu’ailleurs les participations féminines et masculines tendent à s’égaliser, avec même, pour certaines élections, un avantage aux femmes.

Plusieurs explications sont avancées: l’introduction tardif du suffrage féminin, le nombre encore très faible de candidates sur les listes, des ressources socio-économiques et un degré d’instruction encore moindres, des facteurs de différentiation plus nombreux — les femmes célibataires et les veuves par exemple votent moins que les femmes mariées, alors que le statut marital n’a aucun influence sur le vote des hommes.

De même, les femmes qui s’intéressent peu à la politique votent moins que les hommes dans le même cas. Comme si le vote masculin avait quelque de mécanique, de naturel et d’obligatoire. Comme si le vote féminin restait une sorte d’exception, une concession provisoire et bienveillante à l’air du temps.

Comme si ce droit de vote avait été concédé par pure bonté d’âme, juste pour faire une fleur aux femmes, sans qu’on le prenne vraiment au sérieux, avec cette même ironie légère, ce même doute goguenard qui continue d’accompagner les femmes conductrices.

Pas étonnant donc si un traitement particulier est systématiquement réservé aux femmes candidates. Nul besoin de lorgner du côté de Dame Ségolène pour s’en persuader. Jacqueline de Quattro, elle, s’est vue reprocher jusqu’à la couleur de son rouge à lèvres. Mais elle-même se plaint d’avoir été maltraitée par la coiffeuse de la TSR qui lui a fait «une tête de mamie», ce qui suffirait à expliquer sa performance plutôt médiocre à l’antenne.

Pour tout arranger, on retrouve la hargne habituelle des politiciennes entre elles. La petite phrase d’Yvette Jaggi sur les «bêtises» proférées par Jacqueline de Quattro a choqué car venant d’une personnalité qu’on jugeait unanimement dotée d’une certaine hauteur de vues. Même elle, oui, même Yvette Jaggi.

Cette méfiance des femmes envers les femmes ne doit pas occulter l’increvable machisme qui continue de sévir en politique, même s’il avance désormais plus masqué.

Les gags sur les blondes qu’égrène le site du viril camarade Zisyadis n’ont sans doute que l’apparence du deuxième degré et Martine Brunschwig Graf a raison de rappeler cette curieuse alchimie: un politicien sera crédité d’une autorité naturelle quand une politicienne sera suspectée d’être autoritaire, dans un glissement subtil de la qualité intrinsèque au défaut de caractère.

Et puis il y a les obstacles concrets de la sphère privée où se noue peut-être réellement le problème de l’égalité: la ministre jurassienne Elisabeth Baume-Schneider culpabilise d’avoir manqué la Saint-Nicolas organisée dans l’école d’un de ses fils et la conseillère nationale saint-galloise Lucrezia Meier-Schatz a renoncé, l’an dernier, à briguer la direction du PDC, charge incompatible avec la tâche d’élever ses deux enfants.

Plus désolante encore, l’arrogance des cumulards que les prochaines élections font sortir du bois et qui sapent l’idéal de partage du pouvoir: les conseillers d’Etats genevois Pierre-François Unger et Robert Cramer envisagent d’êtres candidats au parlement fédéral, sans abandonner, en cas d’élection, leur mandat cantonal, de même que le syndic de Lausanne Daniel Brelaz et son collègue de la municipalité Olivier Français, ou encore le conseiller d’Etat valaisan Jean-René Fournier.

Ces Messieurs pourront toujours rétorquer qu’en matière de cumul au moins, l’égalité est en bonne voie: la conseillère d’Etat neuchâteloise Sylvie Perrinjacquet annonce sa candidature au Conseil national et au Conseil des Etats sans abandonner, elle non plus, son poste de ministre cantonale. Il faut peut-être s’y résigner: l’égalité effective en politique passe par un même appétit démesuré de pouvoir.