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Dopés à l’opium, les talibans reviennent à l’attaque

En 2006, les paysans afghans ont produit 6’100 tonnes d’opium. Financées et armées, les troupes du mollah Omar veulent déclencher une offensive générale contre les occupants. La situation s’annonce complexe, en particulier pour l’OTAN.

Chacun se souvient encore de la guerre éclair contre le régime des talibans déclenchée en automne 2001. C’était au lendemain des attentats du 11 septembre. En quelques semaines, les talibans furent balayés par une attaque conjointe des troupes américaines, de l’Alliance du Nord et de quelques seigneurs de la guerre.

La fuite en scooter du mollah Omar fit sourire le monde entier, soulagé qu’il était de la disparition d’un régime obscurantiste religieusement réactionnaire. Le pays ayant trouvé un certain calme, en été 2003, les Etats-Unis empêtrés dans la guerre en Irak transmettent la responsabilité du maintien de la paix à l’OTAN qui trouve soudain une nouvelle raison d’être dans cette lointaine intervention militaire. Entre puissances coalisées et otanesques, 30’000 hommes sont ainsi déployés dans un pays au sous-développement endémique.

Après avoir été contraints par les talibans de renoncer à la culture du pavot, du chanvre et de la vigne, les paysans afghans peuvent alors renouer avec le commerce de l’opium, leur activité la plus lucrative par temps de guerre. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2000, 80’000 hectares de cultures donnèrent 3’300 tonnes d’opium. En 2001 l’ukase taliban limita la production à 185 tonnes seulement. L’année dernière, plus de 165’000 hectares produisirent 6’100 tonnes, 90% des besoins mondiaux.

Selon Pierre-Arnaud Chouvy, un spécialiste de la question, ce n’est pas par atavisme vicieux que le paysan afghan pratique la culture du pavot mais parce que c’est pour eux une question de survie économique. Il est aussi établi que l’argent de la drogue corrompt et qu’une bonne partie de la classe dirigeante «pré-démocratique», actuellement soutenue par les troupes de l’OTAN, en profite pour amasser de coquettes fortunes. Publiées il y quelques jours, les prévisions de l’ONU en la matière annoncent le maintien en 2007 du niveau atteint en 2006. A moins que…

A moins que les choses ne tournent très mal et que la guerre se généralise. Depuis le début de l’année, les talibans ne cachent pas leur volonté de déclencher une offensive générale contre les occupants. A commencer par leurs anciens fiefs dans la partie méridionale du pays. Pour avoir les coudées franches à l’est, ils sont parvenus en automne dernier à provoquer un rapprochement (couronné par la signature d’un accord) entre les régions dites tribales du Waziristan et le Pakistan.

De surcroît, ils ont constitué une sorte de brigade islamiste internationale composée de militants religieux arabes, tchétchènes, ouzbeks et pakistanais. Parmi eux, quelques-uns des 200 kamikazes censés semer la mort et le désarroi chez l’ennemi. Autant dire que le mollah Omar – si ridicule naguère robe et barbe au vent sur son scooter – a retrouvé avec une redoutable puissance de feu. Certes, il n’a pas la bombe, mais le choix stratégique de la guérilla et du terrorisme fanatique incite pour le moins à la prudence.

Le Pentagone et le commandement de l’OTAN ne s’y sont pas trompés qui ont donné le branle mardi dernier à la plus grande offensive organisée depuis le renversement du régime taliban en 2001, dans la province de Helmand. Le colonel Tom Collis, le porte-parole de l’Isaf (c’est le nom local du conglomérat otanesque) est très clair: «Nous considérons l’opération Achille comme une opération majeure et je ne pense pas qu’il serait erroné de présenter cela comme le début des opérations majeures de l’Isaf en 2007.»

C’est même si majeur que les bavures ont commencé avant même le déclenchement officiel: lundi déjà, selon les agences, deux dizaines de civils ont été tués dans l’Est du pays, à bonne distance du Helmand.

Le problème pour les Occidentaux est que la vieille Europe, telle la France ou l’Italie, s’est laissé entraîner dans la mission de paix en Afghanistan dans l’espoir d’y gagner sans mal quelques lauriers politiques. Les 4’000 morts générés par la «paix» afghane l’an dernier ont singulièrement refroidi les ardeurs. Ainsi le contingent français (1’100 hommes) est-il, sur ordre de Chirac, soigneusement maintenu à l’écart des balles perdues. Seule l’aviation française est autorisée à intervenir, les guérilleros éprouvant quelque difficulté à descendre des Mirages ou des Rafales.

Les Italiens sont aussi dans l’embarras. Leur parlement devait décider cette semaine même de prolonger le mandat de son corps expéditionnaire basé à Herat, passage obligé vers l’Iran. Depuis mardi, la décision est renvoyée par crainte de défections qui feraient tomber à nouveau le gouvernement.

De plus, l’enlèvement de Daniele Mastrogiacomo, envoyé spécial du quotidien La Repubblica, est en train de provoquer une crise d’ampleur nationale. Personne en Italie n’a oublié que l’officier de renseignements chargé d’accompagner la journaliste ex-otage Giuliana Sgrena lors de sa libération a été tué par des soldats américains sur le tarmac de Bagdad et que jamais Washington n’a voulu entendre parler d’enquête ou de poursuites.

Cette aggravation prévisible de la guerre en Afghanistan et ses complications corollaires surviennent au moment où les Américains sont au plus bas en Irak.

On apprenait le 8 mars que les démocrates sont décidés à contrer la politique de George W. Bush en recourant à un artifice juridique dont les juristes américains ont le secret. Il s’agit de retourner contre le président une loi visant à augmenter le budget militaire. Les représentants démocrates ont en effet l’intention de proposer le retrait des troupes américaines d’Irak d’ici l’automne 2008, et même plus tôt si le gouvernement irakien échoue à rétablir la sécurité et à atteindre les objectifs fixés. Ces objectifs seraient adjoints au texte de loi prévoyant une rallonge budgétaire de près de 100 milliards de dollars, réclamés par l’administration Bush pour combattre en Irak et en Afghanistan!

On constate une fois de plus que le recours à Achille est une constante de l’histoire. Encore faut-il trouver son talon.