A Lausanne, la succursale du grand disquaire français propose à ses clients de ramener les CD après audition chez eux. Une pratique qui semble curieuse, à l’ère de l’iPod et de la copie illégale.
Ecouter un CD avant de l’acheter afin de se faire une idée des titres qu’il contient, tous les magasins proposent ce service, et mettent à disposition des stations d’écoute. Dans ses succursales, le groupe Fnac a installé un système numérique sophistiqué: des bornes automatiques qui permettent, théoriquement, d’écouter n’importe quel disque en passant son code barre dans le lecteur.
Dans la pratique, la situation n’est cependant pas si simple: en ce vendredi après-midi à la Fnac de Lausanne, la plupart des bornes d’écoute automatique sont en panne, six sur neuf, en fait. Et lorsque la machine fonctionne, elle affiche une fois sur deux que «le disque est indisponible».
Parfois même pour des artistes très connus comme les Rolling Stones ou The Cure. Que faire dans ce cas? Acheter un album sans avoir pu l’écouter? «Vous pouvez prendre les CD à la maison et les ramener sous 15 jours s’ils ne vous plaisent pas», explique une vendeuse. Incroyable, se dit-on: à l’ère de l’iPod et de la copie numérique instantanée, la Fnac prête ses disques gratuitement!
Selon un autre vendeur, la règle qui prévaut permet en effet le retour de trois albums maximum à la fois, à l’exception de ceux mis en écoute dans les bornes du magasin. Dans notre cas, nous avons pu ramener trois CD testés, dont un qui était pourtant disponible à l’écoute. Mieux: l’argent, qui est normalement restitué sous forme d’un bon d’achat, a été remboursé en cash. Une véritable aubaine!
A la direction de la Fnac, on s’étonne: «Les consignes fournies par la centrale aux magasins sont les suivantes: les CD peuvent être ramenés pour autant qu’ils soient dans le cellophane d’origine», dit Harry Allegrezza, directeur commercial et marketing de la Fnac Suisse. Toute autre pratique relèverait de la «dérive» ou du «cas isolé destiné à montrer un peu de souplesse envers un client fidèle, connu des vendeurs», précise-t-il.
La manip évoquée ci-dessus a toutefois été proposée à notre cobaye ainsi qu’à d’autres clients à plusieurs reprises au cours des six derniers mois dans la succursale lausannoise.
Or, le prêt ainsi autorisé pourrait poser des problèmes juridiques à la Fnac si l’on parvenait à démonter que le contenu des albums «empruntés» a été placé sur internet. Cela d’autant plus que les disques vendus en Suisse ne sont plus équipés du mécanisme «Copy Protect» censé empêcher toute copie, depuis au moins une année.
L’attitude permissive de la Fnac lausannoise est-elle un effet de bord involontaire et non maîtrisé ou suit-elle une stratégie?
«Le CD va disparaître à plus ou moins court terme, estime Dominique Turpin, professeur de marketing et de stratégie à l’Institut de Management de Lausanne (IMD). On en arrive donc à des comportements bizarres destinés à prolonger artificiellement la vie d’un article condamné à mort. Pour la Fnac, le disque est peut-être devenu un simple produit d’appel.»
Le CD représente en effet moins de 15% du chiffre d’affaire de la Fnac. Le groupe espère sans doute que l’amateur de musique ouvre son porte-monnaie pour acheter autre chose qu’un disque: un DVD, un livre, un téléviseur, une caméra ou un jeu vidéo, par exemple.
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Une version de cet article est parue dans le magazine L’Hebdo du 29 mars 2007.
