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La gauche hisse le drapeau blanc

Ségolène Royal poursuit une marche sans faute vers le pouvoir suprême. Son résultat est exceptionnel. Quantitativement bien sûr, car elle conserve une grande chance de battre l’agité instable du camp adverse. Mais surtout qualitativement.

Incroyable! La candidate de la gauche française, de cette gauche depuis toujours couverte de rouge, de cette gauche dont le rouge a essaimé dans le monde entier, de cette gauche qui descend de la Révolution de 1789, de celles de 1830 et de 1848, de la Commune de 1871, de la Résistance à l’occupation allemande, la candidate de cette gauche-là se présente devant les caméras de télévision, au soir d’un scrutin qui a vu un Français sur quatre lui apporter son soutien, tout de blanc vêtue. Sur fond blanc. Comme une vierge. Comme une madone. Avec un sourire rayonnant, troublant, illuminé même, de vierge et de madone. Accueillie par les vivats louangeurs de ses partisans, elle prend longuement le temps de s’en pénétrer comme d’un dû juste et attendu. Puis elle parle.

Cette scène, vous l’avez peut-être vue comme moi. Et comme moi, vous vous serez peut-être dit: «Il faut oser!». Elle ose. Cette dame s’appelle Ségolène Royal. Elle connaît la valeur des symboles. Or que symbolise le blanc outre ses attributs traditionnels tels que la pureté, la virginité ou la paix? Voici ce qu’en dit Wikipedia:

    «Le blanc a été de 1638 à 1790 la couleur du drapeau royal et de certains pavillons de la marine. De 1814 à 1830, il a été aussi la couleur des drapeaux de l’armée royale. Le blanc symbolise la France et aussi tout ce qui est de l’ordre du divin, de Dieu, d’où le choix de cette couleur comme symbole du royaume.»

Revenons sur terre. Depuis une quinzaine de mois, Ségolène Royal poursuit une marche sans faute (ou presque) vers le pouvoir suprême. Son résultat de dimanche, compte tenu des résistances farouches qu’elle a rencontrées au sein même de son parti, est tout à fait exceptionnel. Quantitativement bien sûr, car elle conserve une grande chance de battre l’agité instable qui représente le camp adverse. Mais surtout qualitativement.

En effet – et le blanc en témoigne – Ségolène Royal, leader de la «gauche» française a enterré les luttes de classes en France. Qu’elle gagne ou qu’elle perde le 6 mai prochain ne changera rien à l’affaire: la lutte politique conceptualisée au XIXe siècle, mise en pratique au XXe et survivant encore vaille que vaille en cette aube du XXIe siècle (notamment en France par le trotskisme résiduel), est vouée à disparaître dans les poubelles de l’histoire si chères à Karl Marx.

Ouf, il était temps.

Non pas que la vie soit très rose pour le peuple, que l’aliénation ait disparu, que l’ouvrier, l’employé, le technicien soient moins exploités. Mais à chaque cycle historique, ses remèdes. Cela fait belle lurette désormais que, dans les leçons d’histoire, la société industrielle parle autant à nos jeunes que l’assolement triennal.

La mondialisation, la rapacité et la mobilité du capital financier, la rapidité des mutations socio-professionnelles, l’extraordinaire foisonnement des innovations technologiques, la fragilité vertigineuse des emplois, exigent d’autres réponses, d’autres types d’organisation. Dans la France d’aujourd’hui, face au conservatisme affiché de la droite, les beaux esprits font appel à une résurgence social-démocrate. Ils retardent eux aussi d’un bon siècle: l’âge d’or de la social-démocratie fut celui des syndicats fortement structurés, des coopératives de production, de consommation et d’habitation.

Manifestement Ségolène a d’autres idées derrière la tête. Le blairisme (qui a rompu avec l’idéal social-démocrate) l’inspirait au début de sa campagne, mais par prudence (par opportunisme?) elle n’y a plus fait allusion. Or c’est bien de cela qu’il s’agit: remodeler un Etat en fonction des besoins actuels, pas ceux d’hier ou d’avant-hier. Tony Blair a prouvé qu’une simple victoire électorale pouvait entraîner un tel changement en profondeur sans indisposer l’électeur.

Dans ce sens, la percée de Bayrou peut aussi apporter un solide coup de main au projet de la Dame blanche car elle est aussi portée par un appel d’air centriste. Dans deux semaines quand les tensions de l’élection présidentielle seront retombées, une grande partie de son électorat sera en déshérence et se tournera, au moment des législatives, vers le garant d’un renouveau.

Il suffit d’ailleurs de tourner notre regard vers l’Italie pour voir que cette problématique n’est pas limitée à l’Hexagone. Dimanche, alors que les Français votaient, les anciens communistes tenaient congrès pour décider de former, en automne prochain, un seul parti démocrate avec les ex-démocrates-chrétiens de Francesco Rutelli et de Romano Prodi.

Encore une histoire de blancheur: plus blanc qu’un démocrate-chrétien italien, tu meurs!