LATITUDES

Les bébés tout terrain

Pourquoi modifier son mode de vie avec la naissance d’un enfant? De plus en plus de parents sportifs embarquent leur bébé dans leurs expéditions, au mépris des règles élémentaires de sécurité.

La programmation de la grossesse d’un bébé tout terrain fait l’objet d’une mathématique savante. Gare à lui si sa naissance ne coïncide pas avec la date programmée! C’est toute une saison sportive qui en ferait les frais.

Dans un article publié le 24 mars et intitulé «Baby come back», L’Equipe Magazine cite l’exemple d’une star européenne du volley, Victoria Ravva.

Lorsqu’elle envisage de fonder une famille, en 2004, son staff panique. «Je lui ai dit qu’elle ne pouvait pas nous faire ça, se souvient Anny Courtade, la présidente du RC Cannes, qu’elle devait au moins attendre jusqu’au Final Four en 2006». La joueuse accepte de patienter. Aujourd’hui, moins de trois mois après une grossesse gémellaire, elle reprend la compétition.

Sans être des championnes, nombreuses sont les femmes qui s’astreignent à un entraînement physique intense durant leur grossesse afin de ne pas conserver, comme Heidi Klum, un gramme supplémentaire après l’accouchement. Pour bébé, les premières sensations fortes commencent alors dans le ventre de maman qui n’hésite pas à pratiquer en sa compagnie VTT, équitation, snowboard ou kitesurf même.

Le foetus tout terrain, devenu un bébé tout terrain, quittera ensuite rapidement et souvent la quiétude de son berceau. Les promenades semblent assimilées à des pertes de temps précieux. Fini les tête-à-tête et les risettes lors de balades dans des landaus spacieux. Comme les snowboardeurs qu’ils deviendront un jour s’ils restent dans les traces de papa et maman, les nourrissons ont effectué un «180 degrés». Ils découvrent désormais le monde à une allure de plus en plus soutenue dans de véritables petits bolides.

Les constructeurs de poussettes viennent titiller la fibre virile des pères qui ne se promènent plus légèrement décalés d’un quatre roues, qu’ils touchaient d’une seule main, l’air complètement ailleurs. C’est fièrement juchés sur leurs rollers Inline qu’ils poussent un modèle «Aerosport qui répond au rythme de vie d’une famille affairée», «Sprint 6, un bolide sportif qui rend amusant les promenades de bébé», «Sport Jogg qui pense aux parents joggeurs» ou encore «Speedi», «Top Race», «Slalom Pro 07», «Vigour» ou «Carrera».

Un vocabulaire très allusif à la notion de performance est apparu, non seulement pour nommer les modèles de pousse-pousse, mais aussi pour en décrire les prouesses. Alors que primait jusqu’ici les références au confort offert à leurs occupants, voici qu’apparaît une terminologie réservée aux véhicules motorisés: freins à disque, pneus gonflables, guidon ergonomique, système de blocage de direction, châssis en alu, etc.

Catherine Millet, l’auteur de «La vie sexuelle de Catherine M.» parle de poussettes virilisées.

Comment les principaux intéressés vivent-ils cette évolution? «Les bébés aiment la vitesse», lit-on dans la revue «Fit for Live» (mars 2007) qui s’adresse à ses lecteurs sportifs et les encourage à demeurer actifs une fois devenus parents.

L’inquiétude gagne en revanche les milieux soucieux de la protection des consommateurs. L’arrivée d’engins de toutes sortes permettant d’emporter avec soi des nourrissons ne serait pas sans danger.

Le magazine J’achète mieux (avril 2007) s’est livré, tout comme son homologue allemand Stiftung Warentest à des tests de sièges vélo pour enfant.

Les mises en garde élémentaires découvertes dans ces articles de presse permettent d’imaginer l’inconscience de certains parents: «Pensez à adapter votre vitesse à votre itinéraire!», «Il est fortement déconseillé de transporter les bébés de moins de 12 mois à bicyclette», «Même avec le meilleur des sièges, pensez au casque à chaque déplacement», «Habillez correctement l’enfant qui peu prendre froid ou souffrir de la chaleur», «Effectuez régulièrement des pauses!»

Pour le Bureau de prévention des accidents (BPA), la remorque est le mode de transport à vélo le plus sûr pour l’enfant. En cas d’accident, cette dernière se renverse moins facilement. Par ailleurs, le volume de la remorque oblige le cycliste à rouler plus prudemment.

Faut-il s’étonner qu’après avoir été secoués sur des milliers de kilomètres et avoir gravi des dénivellations himalayennes sur le dos de papa ou maman, les bébés devenus ados aspirent à un peu de répit? Quel bonheur d’être peinard devant la télé!