- Largeur.com - https://largeur.com -

Les douces fureurs de la politique suisse

Sinistre, molle et plate: les très excitantes présidentielles françaises ont ravivé, comme chaque fois, les clichés collant à notre bonne vielle politique suisse, ce jus de navet à la sauce consensuelle. Et pourtant, les faits, impitoyablement, jour après jour, montrent que ce landerneau-là, à son échelle, n’a rien à envier au grand théâtre tricolore.

C’est d’abord la ministre des Affaires étrangères et tout de même présidente de la Confédération Micheline Calmy-Rey qui s’en va pousser la chansonnette chez Alain Morisod – les Trois Cloches – et s’est vu décernée, par un participant à l’émission, le chef du groupe ethnofolk «Sonalp» Aldo Federici, l’appellation incontrôlée de «nénette très cool». Imagine-t-on un Sarkozy venir bramer du côté de chez Drucker «Je suis un voyou» ou la «Chanson du mal aimé» et se faire traiter de «type très fun»?

C’est ensuite l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) qui, sur l’air un rien faisandé du «mieux vaut prévenir que guérir», exhorte la population à acheter cinquante, oui cinquante, masques hygiéniques par personne -«disponibles en pharmacie pour moins de dix francs» – en vue d’une éventuelle pandémie de grippe aviaire. Le tout accompagné de précieuses consignes subséquentes: éviter de serrer des mains, se tenir à un mètre de son interlocuteur et se moucher et tousser de préférence dans des mouchoirs en papier. Avec, en sus, ce commentaire ubuesque, très rassurant de Thomas Zeltner, le directeur de l´OFSP: «Nous ne voulons pas créer de panique.»

On peut, en plus, évidemment, toujours compter sur l’UDC pour animer la scène politique, lui donner relief, couleur, ambiance chaleureuse et petit vent de folie. Une UDC qui vient de faire très fort à Lucerne lors du deuxième tour des élections au Conseil d’Etat. Le sans parti Marcel Schwertzmann pique le siège du ministre des finances, l’UDC Daniel Bühlmann. Or ce Schwertzmann n’est autre que l’ancien chef du service des Impôts, licencié par Bühlmann en janvier. Un Bühlmann qui a réussi, en à peine deux ans à la tête des finances cantonales, à être mis aux poursuites et à accorder un rabais fiscal indu à son propre frère. Les petits mafieux des Hauts- de Seine, ceux de la bande à Pasqua devenus Sarcow-boys, feraient presque pâle figure.

Une UDC qui réussit même avec son initiative anti-minarets à mettre en ébullition les fidèles de la chaîne arabe Al-Jazira, laquelle a certes transformé l’interdiction des minarets en interdiction pure et simple des mosquées. Pas facile, il est vrai, d’expliquer, entre le Caire et Téhéran, toutes les fines subtilités de la politique suisse. Par exemple que le ministre des armées, un certain Samuel S., vient de condamner durement l’initiative anti-minarets, lui membre éminent du parti qui la propose. L’affaire du foulard à côté, c’est de l’eau tiède pour imam anémique.

Il y a enfin cette superbe querelle à graver en lettres d’or au musée du fédéralisme désuet: les cantons de Suisse centrale et le Conseil fédéral s’écharpent pour savoir qui va payer la facture des mesures de sécurité lors de la prochaine fête du 1er août au Grütli. Fête chaque fois égayée, on ne l’ignore plus, par quelques rigolos à poils ras et bras levés. Schwyz, Uri, Nidwald et Lucerne, les quatre cantons d’où l’on peut accéder à la pelouse sacrée, font valoir que la Confédération est propriétaire des lieux. Micheline Calmy-Rey en tout cas est bien décidée à faire face aux nationalistes excités, et c’est bien sur le Grütli qu’elle prononcera son discours présidentiel. Mais on sait désormais qu’elle dispose d’une arme quasi fatale pour mettre en fuite des nazillons à l’oreille délicate et formatée au heavy metal: chanter les Trois Cloches.

Ces douces fureurs bien helvètes ont un bel avenir devant elles, d’autant que la Suisse manque cruellement de …psychiatres. C’est le professeur Panteleimon Giannakopoulos, responsable du département psychiatrique des HUG (Hôpitaux universitaires genevois) qui nous l’apprend dans «24 Heures». La faute à une spécialisation peu prestigieuse et mal rémunérée. Deux mois d’attente au minimum pour une consultation dans le privé. La Suisse en est réduite à importer ses psychiatres. Du côté des patients, en revanche, on l’a vu, tout va bien.