TECHNOPHILE

Des images du corps à la portée de tous

Développé par deux médecins genevois, le logiciel OsiriX s’est imposé comme une référence mondiale en matière d’imagerie biomédicale. Il permet de modéliser rapidement les images capturées par les scanners. Un extrait du dossier du magazine Reflex.

«L’image reste le meilleur moyen de communiquer une information. Pourquoi la médecine échapperait-elle à cette règle?» Voix douce et sourire enjôleur, le professeur Osman Ratib résume ce qu’il appelle sa «lifetime mission»: la «visualisation démocratisée» du corps humain. «Trop longtemps, seuls les spécialistes pouvaient comprendre ce que les outils d’imagerie médicale montraient. Seuls les radiologues devant leur néon ou leur station de travail à 300’000 francs pouvaient interpréter les images… Notre logiciel OsiriX donne accès à ces mêmes résultats en trois dimensions sur un simple ordinateur de bureau.»

En développant OsiriX, les médecins suisses Antoine Rosset et Osman Ratib sont à l’origine d’une petite révolution dans le domaine de la visualisation médicale. «Les outils d’imagerie en trois dimensions existaient déjà, commente Osman Ratib. Mais jusque ici, ces logiciels, développés par de grands constructeurs, coûtaient très cher et ne pouvaient donc être utilisés que dans des centres hospitaliers et manipulés par des spécialistes. Dès le départ, nous avons pris l’option OpenSource, c’est-à-dire une distribution gratuite et la possibilité pour chacun de modifier et d’améliorer le code à sa guise.»

C’est en Californie, à l’Université de Los Angeles (UCLA), où travaillaient les deux radiologues en 2003, que la première version d’OsiriX a vu le jour. «Il y avait une conjonction d’éléments: la maturité de l’OpenSource et de l’Internet, mais surtout la puissance des processeurs, notamment en matière de traitement des images. On a vu qu’un Macintosh à quelques milliers de francs commençait à pouvoir rivaliser avec des ordinateurs qui, quelques mois auparavant, coûtaient plusieurs centaines de milliers de francs.»

Sans parler du développement fulgurant des outils d’imagerie biomédicale qui progressent et produisent un nombre toujours plus important de données. «A chaque rotation, un scanner multibarrettes prend désormais 16, voire 64 images, détaille Antoine Rosset. Et il effectue 50 rotations par seconde. Du coup, en un scan de quelques secondes, la machine récolte des milliers, voire des dizaines de milliers d’images. Il devient impossible à un radiologue de consulter les clichés séparément, d’où l’utilité de recomposer les données en trois dimensions.»

Le choix de l’OpenSource a permis d’adapter au plus vite le logiciel OsiriX aux nombreux standards développés par les différents constructeurs. «Indispensable, puisque les fabricants n’arrivent pas à se mettre d’accord et veulent généralement conserver des formats propriétaires, explique Osman Ratib. OsiriX lit les données de n’importe quel scanner, toutes générations confondues. Nous avons par ailleurs développé un système de plug-in qui fonctionne aussi pour d’autres ajouts logiciels. Par exemple, si une entreprise développe un algorithme révolutionnaire de visualisation ou de colorisation, OsiriX peut l’intégrer sous forme de plug-in, y compris payant, sans que son code ne soit disponible en OpenSource. Cette stratégie d’ouverture a permis d’accélérer l’acceptation du logiciel par l’industrie.» D’ailleurs, les machines du Centre d’imagerie biomédicale (CIBM) lémanique seront compatibles avec le logiciel. «La mise en place du CIBM renforce la position de la Suisse en matière d’imagerie biomédicale, et son installation est une excellente nouvelle, dit Osman Ratib. Je participe d’ailleurs au comité de pilotage de ce nouveau centre et nous nous réjouissons d’analyser les premiers résultats.»

Les deux créateurs d’OsiriX ne sont pas informaticiens. «Nous sommes médecins, et c’est un atout car nous connaissons exactement les besoins de nos usagers ainsi que leur frustration face, par exemple, à l’attente du chargement des données. Du coup, nous avons mis au point un système de lecture qui permet de consulter immédiatement les premières images pendant que le reste des données est en traitement.» La qualité du code C++ écrit par Antoine Rosset a été couronnée en 2005 d’un Apple Design Award (celui du meilleur programme OpenSource), dont le passionné d’informatique n’est pas peu fier.

Des usagers en Chine, en Inde et au Japon

En mesurant le nombre de téléchargements de chaque nouvelle version, les créateurs peuvent évaluer le succès de leur programme. Ils estiment que plus de 10’000 professionnels utilisent régulièrement OsiriX. «Des versions existent dans toutes les langues et on trouve même des usagers en Chine, en Inde, au Japon. Je vois OsiriX surtout comme un outil de communication. En premier lieu pour le radiologue, qui va utiliser le programme pour expliquer et montrer ce qu’il voit au chirurgien et au généraliste. Puis la chaîne se poursuit jusqu’au patient, à qui le généraliste communiquera visuellement les résultats devant son écran.»

Cette dernière étape devient particulièrement importante avec le mouvement actuel du «patient empowerment» (lire ci-dessous), très fort aux Etats-Unis. Ainsi, le rapport médical cryptique, compréhensible seulement par les spécialistes, a vécu, selon le Dr Ratib. «Nous avons besoin d’un nouveau standard multimédia pour les rapports médicaux: des documents numériques qui intègrent textes, images, films et données 3D. C’est devenu d’autant plus nécessaire que la complexité et la quantité d’informations rassemblées avec les nouveaux appareils ne cessent d’augmenter: les premiers scanners permettaient 60 prises, à partir desquels le radiologue mentionnait dans son rapport: «petite lésion sur l’image numéro 45». Avec 3’000, ou même 10’000 images, ce n’est plus possible…» Sans parler de l’évolution des modèles et l’essor de l’imagerie fonctionnelle (lire «Bienvenue dans la cinquième dimension», ci-dessous).

Ainsi sont nés des outils logiciels d’assistance au diagnostic (Computer Aided Diagnostic). «En détectant les irrégularités de l’image, un tel logiciel permet au radiologue de gagner du temps, explique Antoine Rosset. Des essais concluants ont déjà été effectués, en particulier pour des mammographies.»

«Evidence-based medicine»

L’essor de cette médecine de la preuve par l’image («Evidence-based medicine») pose la question logique de l’abus. On ne s’assoit plus aujourd’hui dans une chaise de dentiste avant d’avoir subi une séance de radiographie. De même, pour la moindre entorse, on envoie un patient dans un scanner alors qu’un simple toucher expérimenté permettait le même diagnostic auparavant. Derrière son écran et ses logiciels, le médecin du futur prendra le risque d’oublier qu’un patient guérit aussi par le réconfort du contact physique, visuel et oral.

«C’est vrai qu’on a tendance à lâcher le toucher et le stéthoscope pour privilégier l’imagerie, reconnaît Osman Ratib. Le contact est pourtant essentiel dans notre métier, et il le restera. Je pense que l’informatique, et en particulier la visualisation en 3D, doit permettre de renforcer et d’améliorer le dialogue entre patient et médecin, mais pas d’informatiser le diagnostic.» La question des coûts se pose aussi.

Même si, en accélérant les diagnostics, l’imagerie permet de diminuer les frais de traitement, l’investissement nécessaire pour les équipements reste colossal. «Globalement, on fait une meilleure médecine, donc on est moins cher, conclut Osman Ratib. Il y a une tendance à la surconsommation car tout le monde préfère voir, et délivrer ainsi un meilleur diagnostic. Mais il faut aussi savoir résister à la tentation de radiographier pour tout et rien.»

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Bienvenue dans la cinquième dimension

Grâce aux données fournies par le scanner, l’ordinateur peut reconstituer le corps humain en 3D. Couplés à de puissants ordinateurs, les nouveaux outils d’imagerie vont plus loin en intégrant l’évolution dans le temps. En effectuant plusieurs passages, l’appareil accumule des centaines de milliers de prises et fait évoluer les images dans le temps. On se promène ainsi dans un organe en mouvement: un cœur qui bat, de vaisseaux dans lesquels le sang circule, etc. On parle alors de visualisation en 4D, car on reproduit, sous forme de modèle animé, l’évolution de l’organisme dans le temps.

Le nouveau buzz de la communauté scientifique consiste à intégrer la visualisation du métabolisme d’un organe grâce au scanner PET (Positon Emission Tomography) couplé à un scanner conventionnel et qui permet de suivre dans le corps des molécules marquées par des traceurs radioactifs. Une telle machine permet de superposer une «image fonctionnelle» à sa localisation anatomique précise dans le corps. On parle alors de cinquième dimension: l’animation intègre le fonctionnement des organes, des tissus ou des cellules, et leur activité (métabolisme). Grâce à des traceurs, on mesure par exemple la consommation de glucose d’un organe, et on ajoute cette représentation graphiquement sur le modèle en 3D.

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«Health consumerism» et «patient empowerment»

Ces deux appellations anglo-saxonnes décrivent une même évolution: la prise de contrôle du patient sur sa propre santé. Du modèle paternaliste ancestral («Fais ce que le docteur a dit»), on évolue vers une prise de pouvoir (empowerment) du patient, stimulée par l’évolution de sa connaissance, notamment grâce à l’essor de l’internet. La nouvelle génération s’informe sur ses maladies, partage aussi bien témoignages que diagnostics avec d’autres patients du monde entier, compare les méthodes de traitement, analyse les résultats, et consulte souvent plusieurs spécialistes avant de prendre une décision. La démocratisation de l’imagerie vient participer à ce nouveau mouvement puisqu’elle permet au patient de se balader via un DVD-ROM avec les données numériques de ses IRM et de les visualiser lui-même, ou avec des médecins, sur son ordinateur personnel.

«En tant que médecin, et en tant qu’institution médicale, nous devons nous adapter à cette évolution, et soutenir ce besoin «d’empowerment», estime le Dr Osman Ratib. C’est d’ailleurs une partie de la croisade que je mène avec la démocratisation de l’imagerie: offrir des moyens adéquats pour que le patient, avec son médecin, puisse voir son corps, et sa maladie, de manière moins abstraite. Jusqu’ ici, le patient ne jouait qu’un rôle politique ou économique face à la santé. Il est désormais légitime qu’il entre aussi dans la boucle de l’information médicale, plutôt que de laisser un radiologue décider à sa place.»

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Osman Ratib
Le docteur Osman Ratib, 52 ans, a étudié à Genève et Los Angeles (UCLA). Il dirige à la fois le département d’imagerie et des sciences de l’information médicale et le service de médecine nucléaire du département de radiologie des Hôpitaux Universitaires de Genève.

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Une version de cet article est parue dans le magazine scientifique Reflex.