KAPITAL

L’innovation version pop

De plus en plus d’entreprises réussissent à faire travailler leurs clients. L’économiste Dominique Foray et le mathématicien Xavier Comtesse analysent cette montée en puissance des usagers.

Wikipedia, eBay, MySpace, Google, Flickr, Craigslist… Le succès de ces entreprises semble dessiner une nouvelle forme d’économie où l’usager contribue à la création de valeur.

Elles réussissent l’exploit suprême: faire travailler leurs clients. Des clients qui, en contrepartie, bénéficient d’un avantage financier, d’une satisfaction narcissique ou du simple plaisir de participer.

Le chercheur Dominique Foray, directeur du Collège du Management à l’EPFL, suit ce phénomène de très près. Nous lui avons proposé de confronter ses analyses à celles de Xavier Comtesse, mathématicien et directeur romand du laboratoire à idées Avenir Suisse, qui vient de consacrer un livre à cette mutation économique.

«Si j’appelle cela «l’économie directe», c’est en référence à la démocratie directe, qui est un flambeau de notre pays», dit Xavier Comtesse.

La métaphore politique semble appropriée. «L’économiste américain Eric von Hippel avait également utilisé une analogie avec la démocratie quand il a inventé le terme de «démocratisation de l’innovation» pour mettre en lumière le rôle des utilisateurs dans le développement de certains produits, comme les instruments scientifiques par exemple», observe Dominique Foray.

«L’utilisateur de technologie est un grand innovateur: il bricole, il transforme, il améliore le produit, poursuit-il. En décrivant cela dans les années 1980, von Hippel avait simplement anticipé un phénomène qui devient aujourd’hui massif et qui bouleverse les piliers de l’économie industrielle, notamment en matière de protection intellectuelle: l’exemple le plus frappant est celui du logiciel open source, développé par les usagers, et qui entre en concurrence frontale avec les logiciels commerciaux.»

Pour Xavier Comtesse, cette transformation des consommateurs en «consomm-acteurs» résulte d’une évolution en cinq stades: «Le premier stade était celui où l’on consommait passivement, en se faisant servir. Puis est venu le self-service: on va chercher dans les rayons ce dont on a besoin.»

«Ensuite, le do-it-yourself nous a permis d’acheter en kit et d’effectuer le montage, pour payer moins cher. Là où ça devient intéressant, c’est quand on passe dans la quatrième phase, que j’appelle le co-design, et qui s’observe notamment dans le tuning des voitures: le consommateur fait preuve d’une certaine créativité et participe à l’invention du produit.»

«Enfin, le cinquième stade est celui de la co-création: l’usager innove, comme dans le cas du logiciel open-source. C’est là qu’il y a une véritable rupture: l’ensemble des règles du jeu économique sont complètement perturbées.»

En résumé, «les consommateurs sont de moins en moins prêts à transiger sur la spécificité de leurs besoins, dit Dominique Foray. Ils ne se contentent plus de produits standardisés. Pour avoir ce qu’ils veulent, ils sont prêts à le faire eux-mêmes.»

L’exemple de la banque en ligne Swissquote est à ce titre assez révélateur. «L’un de ses fondateurs, Marc Bürki, qui est d’ailleurs un ancien de l’EPFL, disait récemment qu’avec toutes les fonctionnalités qu’il apporte à ses services, il en vient à enseigner le métier de e-banker à ses propres clients», relève Xavier Comtesse.

«Mieux encore: l’entreprise bénéficie d’un véritable feed-back puisque ses usagers lui donnent des conseils. C’est là que ça devient passionnant: l’entreprise reçoit de ses usagers sa propre modification.»