Longtemps bercée d’illusions sur son système éducatif, la Suisse s’est découverte très moyenne en comparaison internationale. Entrée à l’école trop tardive, mobilité insuffisante, enseignement des langues long et inefficace, les réformes piétinent.
Neuf longues années de cours d’allemand pour, finalement, n’être même pas capable de soutenir une conversation. Combien d’étudiants romands auront dressé le même constat affligeant? Selon l’économiste Pierre Weiss, l’inefficacité de l’enseignement des langues s’explique par le manque de mobilité des élèves et du corps professoral: «Il s’agit d’ouvrir largement le marché des enseignants, y compris à d’autres pays. Dès l’école primaire, la possibilité de suivre un enseignement bilingue avec immersion doit devenir obligatoire. J’en ai pris conscience il y a longtemps, lors de mes voyages dans les pays de l’Est. J’ai rencontré de jeunes Bulgares qui parlaient parfaitement français. Pourquoi ce qui a marché pour eux ne fonctionnerait pas chez nous? En matière d’éducation, l’inefficience coût/résultat constitue un problème dramatique, propre à la Suisse. Financièrement et culturellement, il s’agit sans conteste du plus gros gâchis. Les spécificités cantonales et les sempiternelles querelles de pédagogues expliquent en partie ce problème.»
Régulièrement consulté par les grandes entreprises du pays, l’économiste Wolf Zinkl étaye le propos: «Non seulement notre système éducatif n’est pas assez performant, mais surtout, il s’avère de très loin le plus coûteux en comparaison internationale, soit 30% plus cher que le deuxième de la liste. De plus, en raison d’études trop longues, les étudiants suisses arrivent bien tard sur le marché du travail: les statistiques de l’OCDE indiquent qu’ils étudient deux ans de plus que ceux des pays les mieux classés.»
Le même constat s’applique aux filières d’apprentissage: «Les jeunes Helvètes n’ont pas le niveau par rapport aux voisins allemands et français, poursuit Wolf Zinkl. La différence saute aux yeux lorsque des multinationales recrutent à large échelle.»
Et pourtant, la Suisse continue souvent à se considérer au-dessus de la mêlée. «En se réfugiant dans l’autosatisfaction, le pays a trop longtemps dénigré les études comparatives menées au plan international, note Martine Brunschwig Graf, Conseillère nationale libérale, ex-responsable de l’instruction publique à Genève. Ce type d’évaluations permet pourtant d’identifier les faiblesses et les lacunes.» En 2003, les résultats de l’enquête PISA (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves), mise sur pied par l’OCDE, avait provoqué un électrochoc: la Suisse découvrait qu’elle n’était pas l’élève surdoué qu’elle imaginait.
La situation n’est plus complètement figée. «Le concordat HarmoS (l’accord intercantonal sur l’harmonisation de la scolarité obligatoire), qui vient tout juste d’être adopté par les 26 cantons, entérine enfin l’obligation de commencer l’école dès quatre ans, relève Martine Brunschwig Graf. «Cela va permettre une détection précoce des problèmes et la possibilité de les corriger rapidement. Et puis, la nécessité d’abréger la durée des études, à l’autre bout de la chaîne, impliquait d’accélérer l’ensemble.»
Pourquoi, dès lors, avoir autant tardé? «La Suisse est une confédération d’Etats souverains», rappelle Charles Beer, actuel patron de l’instruction publique genevoise. Les questions d’éducation relèvent de la compétence des cantons. Mais les choses évoluent, et avec HarmoS, le principe d’harmonisation est lancé.» Il n’y a cependant pas de quoi pavoiser: cette mesure qui paraît si urgente n’aura pas valeur de norme avant… l’horizon 2014.
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Diagnostic: l’école débute trop tardivement et retarde les études, ce qui dessert les étudiants suisses sur le marché du travail. L’enseignement de l’allemand s’avère aussi long qu’inefficace.
Responsables: le système fédéraliste, mais aussi une certaine fierté déplacée.
Solutions: faire débuter l’école à 4 ans, ce qui est prévu. Généraliser les filières bilingues dès l’école primaire. Encourager les séjours linguistiques.
