Pour sa dernière collection d’été, Kris van Assche a scanné la journée de l’escort boy incarné par Richard Gere dans «American Gigolo». Torse nu et pantalon de survêtement pour prendre ses rendez vous par téléphone, chemise et cravate grise pour dîner en tête à tête et sous vêtements siglés, pour jeux de rôles à l’hôtel.
Mais la référence au film culte des années 80 s’arrête là. Si l’allure reste classique, la dégaine se veut définitivement contemporaine. La carrure des vestes est étroite et le pantalon à pli tombe légèrement sur les hanches, avec une nonchalance totalement 2007.

Cette allure autobiographique, c’est celle de Kris van Assche lorsqu’il salue à la fin de son défilé. Ce jeune créateur habille les hommes naturellement, comme il s’habille le matin. Un look décalé, sans rien de péremptoire et un succès confirmé par Jude Law, Benoît Magimel et déjà plus de 160 boutiques dans le monde en trois ans à peine.
Les costumes parfaitement coupés semblent toujours empruntés à la garde robe d’un papa avocat et portés imperceptiblement trop grand par un fils rebelle. Tous les codes du tailleur sur mesure sont là: lainages Super 100 ultraconservateurs, coupes précises et chemises repassées constituent le registre de prédilection du plus sensuel des créateurs venus du nord.
«La mode pour homme est vraiment une affaire de proportions, tout se joue dans les détails et parfois au millimètre, dit-t il. On ne peut pas cacher une épaule qui tombe mal avec un tissu flashy.»

C’est grâce à sa mini collection de diplômes pour la Royal Academy d’Antwerp que Kris van Assche se fait remarquer par le créateur Hedi Slimane. Le jeune Belge devient son bras droit chez Yves Saint Laurent et l’accompagne tout au long de sa fulgurante ascension chez Dior.
C’est l’école de la sensibilité, mais aussi de la rigueur et du perfectionnisme. Pourtant, en 2004, Kris van Assche décide de créer sa propre marque et se lance, sans pourtant sauter dans le vide. Soutenu par de solides financiers genevois dont le nom reste secret, il s’entoure des meilleurs fabricants et donne alors sa démission. Le premier défilé est un succès, auprès de la presse comme des acheteurs.
La définition de l’élégance selon Kris van Assche fait souvent référence à l’héritage direct d’un grand père dont les photos ne cessent de le hanter. Un onirisme que l’on retrouve dans chacune de ses collections et qui constitue le lien entre le monde de la mode et celui des galeries d’art.
Sans revendiquer le statut d’artiste, Kris van Assche franchit volontiers la frontière des genres et c’est à Genève qu’il a présenté sa première installation dans la galerie Analix, invité par Barbara Polla en 2006. Cette obsession du noir et blanc, on la retrouvait dans sa mise en scène intitulée «handsome» et présentée lors du dernier salon de mode Pitti Uomo 2007 à Milan.
Des chapeaux noirs suspendus dans le vide à perte de vue donnaient la réplique à autant de mouchoirs blancs, pliés à l’ancienne, comme les doubles de ses vêtements.
A 32 ans, Kris van Assche revient sur ses pas, et sa nomination au poste de directeur artistique de Dior homme marque un tournant spectaculaire dans son parcours. Même s’il soutient vouloir conserver sa propre marque, il se retrouve désormais au centre d’enjeux fabuleux.
Avec des ventes estimées à 100 millions de francs, le segment homme représente à peine 10% du chiffre d’affaires global de Christian Dior. L’arrivée de Kris van Assche confirme ainsi la nouvelle stratégie commerciale du groupe LVMH où les années de provocation passent la main à une politique de rentabilité totalement assumée. Collections assagies depuis deux saisons pour John Galliano et arrivée impromptue du designer Paul Helbers à la tête du prêt à porter homme chez Louis Vuitton. Le groupe LVMH veut désormais élargir sa clientèle et le profil à la fois classique et contemporain du style van Asshe cadre très précisément avec ces nouvelles aspirations.
Si Hedi Slimane s’éclipse temporairement de l’échiquier de la mode, il est parvenu a imposer une nouvelle esthétique du luxe, débarrassée d’ostentation et c’est précisément sur cette trace que Kris van Assche prends sa relève.
Pour l’été 2007, il parvient à mélanger un gilet porté à même la peau, un pantalon de banquier et un simple lien au poignet, sans anachronisme. C’est aussi la promesse d’un nouvel hédonisme chic et décalé et d’un sang neuf qui palpite déjà dans les veines du luxe de ce nouveau millénaire.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Trajectoire d’été 2007.