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Suspense autour du Kosovo

La diplomatie européenne est au pied du mur. Depuis quelques jours, l’agitation est grande autour de la question du Kosovo. Les deux millions d’albanophones attendent avec une impatience de plus en plus vive la proclamation d’une indépendance espérée depuis la fameuse intervention de l’OTAN en été 1999 et promise à mots couverts par l’Union européenne pour le milieu de cette année.

Le mois de juillet étant bien entamé, Pristina attend des actes.

Lundi, le premier ministre kosovar, Agim Ceku, déclarait à un journal britannique que son gouvernement ne ferait rien sans l’aval de l’UE. Mais deux jours plus tard, dans une interview à Reuters, il se reprenait en précisant que, si la question n’était pas réglée dans le délai imparti, le Kosovo proclamerait unilatéralement son indépendance.

«Nous préférons la voie des Nations unies (…) mais ce que nous proposons, c’est que l’UE fixe une échéance, ou que nous fixions une échéance», a dit Ceku à l’issue de discussions avec le porte-parole de la diplomatie européenne.

Or l’échéance est aujourd’hui encore au fond d’un tunnel dont personne apparemment ne voit le bout. En jeu: le sort d’une province qu’aucun dirigeant serbe ne peut se permettre d’abandonner. Il s’agit, dans la mythologie nationaliste serbe, du berceau de leur civilisation, même si, au fil de l’histoire, des migrations en ont radicalement modifié la composition ethnique. Les monastères orthodoxes ont peu à peu été encerclés par les minarets et les centres coraniques.

Vu d’un œil distrait et de loin, le problème semble assez simple: la décomposition de la Yougoslavie titiste ayant atteint de telles proportions — six Etats à la place d’un seul ! –, pourquoi ne pas en créer un autre?

Ce serait faire fi non seulement de la dimension sentimentale et historique chère aux Serbes, mais aussi du singulier rétrécissement du territoire contrôlé par Belgrade qui, après la sécession du Monténégro, se trouve désormais privé d’un accès à la mer.

Un rétrécissement qui pourrait même se poursuivre dans la plaine danubienne au nord du pays, dans cette Voïvodine multiethnique qui supporte de moins en moins le nationalisme ombrageux belgradois.

Ce serait surtout créer au sein du Kosovo indépendant une nouvelle source de conflits, les quelque 200’000 Serbes vivant surtout dans le nord du pays et dans quelques enclaves isolées se retrouvant isolés dans un Etat dont on sait, vu les passions ethniques et le passé récent, qu’il ne leur ferait pas de cadeaux.

Comme si cet imbroglio ne suffisait pas au malheur des uns et des autres, le retour de la Russie poutinienne sur le devant de la scène mondiale a ajouté ces derniers mois de nouvelles difficultés à sa solution. Les Russes, ceints au cours de ces dernières années, par un solide anneau de bases militaires américaines, d’Europe en Asie centrale, redécouvrent les antiques solidarités panslaves. Et se posent en défenseurs déterminés des Serbes victimes de l’agression de l’OTAN dont les bombardements en 1999 furent brutaux, ravageurs, inutilement humiliants, mais malgré tout fort efficaces pour mettre un terme aux guerres balkaniques des années 1990.

En principe, la position de Moscou sur le Kosovo est nette: pas d’indépendance sans un accord négocié directement entre Pristina et Belgrade. Il n’est pas question par ailleurs d’espérer un vote du Conseil de sécurité de l’ONU accordant cette indépendance. Moscou et probablement Pékin y mettraient leur veto.

Mais des signes laissent percevoir une évolution. Ainsi, l’ancien premier ministre russe Evguéni Primakov, dans un article publié en première page par un important quotidien belgradois, lançait la semaine dernière un ballon d’essai en annonçant comme inéluctable la division du Kosovo et en esquissant le contenu de cette partition: «Il est encore difficile de dire où passerait la frontière. Mais il est évident que les régions du Kosovo où se trouvent les Serbes et les monastères doivent revenir à la Serbie.»

Comme il semble que ce redécoupage des frontières ait aussi — volens nolens — l’assentiment de Belgrade, on peut imaginer que la négociation portera sur ce sujet. Mais quand? L’enjeu est si délicat que le secret sera de mise et que l’on apprendra la chose qu’une fois un résultat concret atteint.

En attendant, les tensions sont telles que le risque de nouvelles violences est des plus réels. Kosovars et Serbes sont si frustrés par le statu quo qu’un dérapage est possible à chaque instant. Les Kosovars se sentent d’autant plus forts qu’ils ont l’appui voyant du président Bush. Les Serbes savent que dans la partie le président russe joue lui aussi très gros. Une étincelle pourrait les propulser dans un bras de fer terrifiant.