CULTURE

«La photo est un accélérateur d’intimité»

Le photographe suisse d’origine iranienne Anoush Abrar publie dans les plus prestigieux magazines du monde. Après avoir réalisé la dernière campagne Stop Sida, actuellement placardée en Suisse, il expose à San Francisco. Rencontre.

Vous avez réalisé des séries sur les enfants de comtesses ou le Bal des débutantes. Le Gotha constitue-t-il une source d’inspiration pour vous?

Plus que d’inspiration, il s’agit de fascination. Davantage que le luxe, c’est la difficulté qui m’intéresse, le côté fermé et difficile d’accès. J’ai travaillé sur d’autres zones protégées: une base militaire, l’hôpital vétérinaire fédéral ou encore les urgences du CHUV. Ma démarche est celle d’un caméléon: m’intégrer dans un milieu. Même si cela prend du temps: il m’a fallu une année pour me faire accepter au sein de la communauté juive iranienne de Los Angeles, notamment parce que je ne suis pas juif. Mais maintenant, on m’y considère comme un membre de la famille. Et au CHUV, on me disait «Bonjour Docteur!».

C’est une sensation étrange, car moi je tiens à conserver un regard extérieur. En fait, je suis fasciné par les gens. Je pense que pour prendre une photo, la sensation primaire doit être l’intérêt pour les humains. J’ai opté pour cette discipline parce qu’elle représente un accélérateur d’intimité, qui permet de rentrer dans la vie d’une personne en quelques secondes.

Il y a donc la volonté de raconter l’histoire de quelqu’un?

Oui, en partie en tout cas, cela même dans les photos de mode. Pour qu’une série m’intéresse, il faut qu’il y ait une histoire à raconter. Je ne vois pas pourquoi un travail de mode ne serait pas artistique.

Votre série intitulée «Californication» ne contient pas d’images pornographiques, mais a été censurée en raison de son titre et du fait qu’elle allait être exposée dans un lieu autrefois dédié au culte. Comment avez-vous réagi?

Cela ne me touche pas. La censure reste subjective et dépend du pays dans lequel on se trouve. Dans certains cas, elle m’inspire cependant une réaction violente: par exemple dans mon pays, en Iran, les jeunes ne peuvent pas se tenir la main, et on nous interdit de prendre certaines photos. Mais ma série «Californication» a finalement été exposée dans de nombreux endroits, donc cela m’est égal.

Où se situe la limite entre le porno chic et la pornographie?

Pour moi il n’y a pas de limite: certaines photos peuvent aller très loin et rester très artistiques, très belles.

Dans certains de vos travaux, vous faites référence à Balthus. Quel rapport avec lui?

C’est mon peintre préféré. J’aime le double regard de Balthus, à la fois beau et dérangeant. D’ailleurs, certaines de mes photos provoquent à la fois attirance et répulsion – c’est le cas des animaux anesthésiés à l’hôpital vétérinaire cantonal. En peinture, Balthus n’est pas le seul: chez Le Caravage par exemple, il y a aussi une double lecture. Mais ce que j’aime surtout chez Balthus, c’est la façon dont il s’est intéressé au monde des enfants. Moi aussi, l’innocence m’attire. Cette innocence que l’on perd après.