LATITUDES

Il offre l’éternité à votre animal

A Vicques, dans le canton du Jura, le taxidermiste Christian Schneiter donne une nouvelle vie aux animaux domestiques ou sauvages. Il utilise des techniques qui n’ont plus grand-chose à voir avec le bon vieil empaillage.

«En regardant un chien ou un oiseau, je suis capable de vous dire dans la seconde ce qu’il ressent, s’il est malade, contrarié ou rassuré.» Depuis son enfance, Christian Schneiter a développé une affinité particulière avec les animaux: à huit ans déjà, il ramenait chez un vieux taxidermiste une buse retrouvée morte en chemin. Plus tard, adolescent, il décide de se lancer dans l’apprentissage de ce drôle de métier.

Aujourd’hui âgé de 40 ans, dont 20 de pratique, il réunit dans sa villa jurassienne une impressionnante collection de plus de 3’000 animaux naturalisés, dont un énorme ours polaire, plusieurs renards, des loups, des singes et des centaines d’oiseaux d’espèces variées.

Mais cette arche de Noé inanimée comprend aussi des animaux plus proches de nous. «Mon métier consiste, en partant d’un cadavre, à donner l’illusion de la vie. Avec les animaux de compagnie, le challenge est plus difficile. On n’a pas le droit à l’erreur: les propriétaires, qui les ont connus mieux que quiconque, s’attendent à retrouver leur animal tel qu’il était de son vivant, avec une expression familière et son caractère propre.»

Dès lors, afin de réaliser la reproduction la plus fidèle possible, Christian Schneiter se base sur un maximum de renseignements et de photos, en collaboration avec le propriétaire de l’animal mort. Mais ce n’est pas suffisant. Pour «insinuer le doute» chez le spectateur, l’artisan doit faire ressortir l’individualité de la bête, grâce notamment à un travail minutieux sur les plis de la peau. La question qui se pose à lui est la même que pour un sculpteur du musée Grévin: «doit-il restituer un Belmondo âgé de trente ans ou de soixante?»

En règle générale, le Jurassien conseille des positions tranquilles, assise ou couchée, à ses clients, pour éviter qu’ils ne se lassent. «Ils doivent garder à l’esprit qu’ils auront sous les yeux, à vie, dans leur salon ou leur chambre à coucher, une reproduction froide et rigide», prévient-il. Autre paramètre difficile à encaisser pour les maîtres endeuillés: l’animal doit impérativement être congelé juste après sa mort, afin de favoriser sa conservation. «Cette étape répugne beaucoup de monde… Pour faciliter les choses, j’entretiens souvent des contacts directs avec les vétérinaires», dit-il.

Une Reine à 35’000 francs

Les prix varient selon la taille de l’animal. Plus il sera gros, plus il faudra de temps pour le «dégraisser», l’assistance d’un boucher pouvant alors se révéler très utile. Dans le détail, il faut compter 220 francs pour une perruche, 350 pour un cochon d’Inde, environ 1’000 francs pour un chat et 4’000 pour un Berger allemand. Pour la vache «Souris», triple reine du Valais, Christian Schneiter a travaillé 50 jours, avec l’appui occasionnel d’une deuxième personne, sans compter de nombreux déplacements, notamment en camion frigorifique. Le tout pour la coquette somme de 35’000 francs. «Comme elle avait été endormie, nous n’avons pas pu récupérer sa viande, souligne le taxidermiste, ce qui aurait permis de réduire la note.»

En comparaison, il suffit d’un jour pour une perruche, trois pour un chat et une semaine pour un grand chien. Bien sûr, entre un hamster et un Saint-Bernard, la technique varie. Passé une certaine taille, il devient impossible, pour des raisons liées à la conservation, d’utiliser les os des pattes. Chez les gros mammifères, ces derniers contiennent trop de graisse. Les petites bêtes, comme les cochons d’Inde ou les canaris, sont eux simplement remplis de fibres de bois et ficelés. Mais attention à ne pas trop «bourrer» l’animal: la peau étant élastique, on a vite fait de donner un aspect bouffi à la bête, la rendant difficilement reconnaissable.

Contrairement à une idée largement répandue, les animaux ne sont donc plus empaillés. On réalise de nos jours dans la plupart des cas un mannequin en mousse correspondant à l’anatomie de l’animal, que l’on recouvre ensuite avec la peau préalablement lavée et tannée. Le poil et le cuir subissent un traitement afin d’éviter leur détérioration. Enfin, le «visage» de l’animal est confectionné à partir d’un masque mortuaire en plâtre, moulé directement sur la face du cadavre. Quant aux yeux, ils sont fournis par des maisons spécialisées.

Trois dimensions

S’ils étaient encore une cinquantaine il y a vingt ans, les taxidermistes ne sont plus que trente aujourd’hui dans toute la Suisse. L’effectif va-t-il continuer à diminuer? «Certaines habitudes se perdent, notamment dans les cantons urbains, reconnaît le Jurassien, un brin dépité. Avant, pour voir un animal, on était obligé d’aller au musée. Aujourd’hui, il suffit de taper un nom sur internet.»

Cependant, un potentiel important existe encore, notamment auprès des personnes du troisième âge et des enfants, souhaitant conserver un souvenir de leur chat ou de leur hamster tant aimé. Christian Schneiter, qui reçoit chaque semaine la visite de hordes d’écoliers, caresse même l’idée d’ouvrir un jour un musée digne de ce nom sur son terrain. Car, contrairement à ce que montrent les images de Google, ses créations sont en trois dimensions, ce qui permet de se faire une idée exacte de la taille de l’animal. Sans parler de la troublante ressemblance avec leurs cousins animés.