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Blocher président

A ma droite, Christoph Blocher et dame Silvia sourient au bord d’un lac idyllique, genre Engadine. Puis des F/18 pirouettent dans un ciel immaculé, avec une maestria rassurante. Plus loin, des malabars sympathiques, les pieds dans la sciure, s’empoignent à la culotte. Mais voici déjà Lavaux dans toute sa splendeur, suivi par le vieux pont de Lucerne toujours aussi vénérable. Enfin, des jeunes bien sous tout rapport, très propres sur eux, turbinent sagement en usine ou font des étincelles dans des laboratoires dernier cri.

A ma gauche, dans un décors pisseux, désespérant, maculé de tags agressifs, d’autres jeunes, cette fois nettement moins avenants et appliqués, cognent, menacent, bousculent, agressent, violent. Heureusement, voici des mères de famille visiblement nombreuses, poussant leurs landaus. Hélas: elles portent le foulard. Leurs maris, compagnons, cousins ou frères, eux, pendant ce temps, se prélassent en terrasse, ou s’affalent sur les bancs publics. Tous bien fatigués, bien basanés.

Cette vidéo de l’UDC qui donne le choix à l’électeur entre l’enfer et le paradis a donc dû être retirée par décision judiciaire. Non pas pour son contenu mesquin, paranoïaque et manichéen jusqu’à la caricature, mais parce que les rappeurs jouant les rôles de figurants dans les scènes de violence ne savaient pas qu’ils étaient en train de transpirer pour le compte du parti blochérien.

Paranoïaque, manichéen, mesquin, dresseur d’une partie du pays contre l’autre: des «qualités» et une manière de faire qui discréditerait n’importe qui aspirant à présider n’importe quel Etat.

Or justement, en décembre prochain, selon les lois de l’immuable tourniquet fédéral, Christoph Blocher devrait être élu à la vice-présidence de la Confédération et occuper donc en 2009 le poste de président de la Suisse.

Une perspective qui en fait frémir plus d’un. Au point que, subodoré par la Basler Zeitung, un plan machiavélique se tramerait dans les officines bernoises: non pas, comme le souhaitent ouvertement Verts et socialistes, la non-réélection pure et simple de Christoph Blocher le 12 décembre au Conseil fédéral, mais sa non-élection, à la vice-présidence.

Pour ce faire, il suffirait de trouver quelques dissidents PDC et radicaux qui viendraient se joindre à la gauche pour plébisciter, à la place du tribun de l’Albisgüetli, l’inoffensif Samuel Schmid.

Le mépris affiché par Blocher pour le droit international et notamment les normes anti-racistes pourrait faire des dégâts lors de ses déplacements à l’étranger comme président.

Cette simple idée d’un Blocher président révulse par exemple l’ancien journaliste vedette de la TSR Claude Torracinta qui annonce, dans une tribune publiée par le Temps que, même élu, Saint Christoph ne sera jamais son président: «J’en ai assez d’entendre ces discours où l’on oppose Suisses et étrangers, bénéficiaires de l’aide sociale et salariés, chômeurs et ceux qui ont un emploi, chrétiens et musulmans.»

Un peu faux-cul, les présidents du PDC et du PRD, Christophe Darbellay et Fulvio Pelli, assurent qu’aucun coup de sac ni d’Etat n’aura lieu le 12 décembre. Que Blocher est un conseiller fédéral comme un autre, qu’il doit donc être et qu’il sera traité comme tel.

Cette prudence s’explique surtout par le fait que, pour des raisons tactiques ou de simple couardise, la droite traditionnelle s’accommode de Blocher au gouvernement. Enfin, il s’agit de ne surtout pas en faire un martyr.

L’UDC s’est d’ailleurs déjà emparée de ces présumés complots contre son chef et s’offre des pleines pages de pub sobrement intitulées: «Un plan secret pour évincer Christoph Blocher».

Y est dressée la liste des sept plaies d’Egypte (adhésion à l’UE, augmentation de la criminalité étrangère, etc) qui s’abattraient sur une Suisse privée du milliardaire d’Ems.

En sus et en exergue, les déclarations de guerre de différentes personnalités politiques suisses. Dont celle, tiens, tiens de Christoph (sic) Darbellay, datant certes de plus d’une année: «Personnellement je suis clairement d’avis que nous ne pouvons pas réélire Christoph Blocher».

Tout est dans le «clairement».

Blocher lui-même y va de sa complainte en diabolisation, déclarant même à l’Illustré : «Pour vous je suis le Diable». Avant de passer aux menaces dans Le Matin: «Si je ne suis pas réélu, je continuerai la politique. Je serai d’autant plus dangereux.»

Dangereux? Si c’est lui qui le dit.