LATITUDES

Le plein de super

Des animateurs de radio, en passant par la presse et les chanteurs, tout le monde s’exclame à coup de «super». Cette locution des années 1970 s’offre un surprenant retour en grâce auprès de la génération giga.

«Eh, t’as vu le dernier Tarantino?», «Ouais, il est super», «Tu parles, c’est du super navet.» On passe sur les jugements à l’emporte-pièce à propos du dernier film contesté du réalisateur américain. Ce qui frappe dans ce dialogue fictif, c’est la réapparition du terme «super» là où on aurait employé naguère des expressions plus modernes comme «cool», «trop», «trop bon», «hyper bien», voire «méga» et «giga» pour les plus exaltés.

Plus révélateur encore, cette locution qui fleure bon l’essence des années 70 refait aussi surface dans les médias. La nu-rave, ce nouveau courant musical d’Outre-Manche incarné par le groupe The Klaxons qui fusionne electro et punk, en a fait le titre de son manifeste, le très branché magazine anglais Super Super. Couleur 3 a suivi le mouvement exclamatoire en désignant ses matinales de l’été par le même double épithète. La musique livre aussi ses exemples avec les français de Superbus et le chanteur iconoclaste Didier Super.

«D’après les dictionnaires linguistiques, le terme est entré dans le langage familier dans les années 60 comme adverbe et comme adjectif, avant il n’était qu’un préfixe», renseigne la sociolinguiste neuchâteloise Marinette Matthey. Synonyme de progrès, de technologie et de la toute-puissance de l’automobile, le terme a perdu son actualité avec l’avènement de l’informatique. Pour les non-scientifiques, il charriait un enthousiasme boy-scout agaçant, connoté très «Trente Glorieuse» pour la génération désenchantée des années 90. Bref, l’expression avait égaré ses derniers débris d’une coolitude déjà bien entamée. Super? Ringard, tu veux dire. Comment alors super-beauf s’est-il subitement transformé en super-branché?

Sur le modèle des modes vestimentaires, les mots suivent des cycles d’abandon et de reprise. L’avant-garde se saisit d’un terme pour se singulariser. Quand celui-ci devient trop populaire, elle change à nouveau de vocabulaire, un mécanisme connu: «De nombreux mots vieillis reviennent au goût du jour comme la «maille» pour désigner l’argent, de retour dans le langage des jeunes», acquiesce Pascal Singy, sociolinguiste à l’université de Lausanne.

Mais pourquoi ce mot en particulier? «Nous aimons l’idée seventies et un peu vintage qu’il dégage», explique Christelle André, animatrice de Super Super sur Couleur 3. Sonorité estivale, colorée et fourre-tout, le terme paraît idéal pour la radio: «On peut l’employer à toutes les sauces: super-bon, super-méchant, etc.», poursuit l’animatrice. Elle admet l’influence de la presse anglo-saxonne très friande du terme, mais aussi celle plus surprenante des stations balnéaires du sud de la France: «Les nouveaux quartiers sont désignés par des termes comme ‘Super Lavandou’, évidemment c’est plutôt super-moche, mais je trouve ces expressions amusantes.»

L’anthropologue française Anne Jarrigeon, spécialiste de la mode et du langage urbain, lui reconnaît plusieurs atouts: «Il est à la fois international et quasi performatif, une particularité assez rare qui le rend précieux.»

Désuet et rigolo, – «mais pas autant que «chouette» avec son suffixe ridicule en «-ette», remarque l’anthropologue – «super» fait un retour au second degré. Sa surreprésentation et le ton légèrement ironique avec lequel on le prononce dénote de l’emploi décalé. Comme si le mot était passé par la moulinette dupe de rien de la pensée postmoderne.