LATITUDES

La sexualisation de l’équipement

L’époque où hommes et femmes utilisaient le même matériel sportif semble révolue. Depuis le ski jusqu’au VTT, les fabricants segmentent les marchés. La fin de l’unisexe? Analyse.

«Avec l’été pourri qu’on a eu, on va se rattraper avec un super hiver.» Les marchands d’articles de sport se convainquent tant bien que mal d’un retour prochain de la neige en abondance et exposent déjà la gamme 2008 des skis et snowboards.

Couleurs tendres pour les femmes, plus sombres et trash pour les hommes: on assiste à une sorte de retour — à un âge plus avancé — de la différenciation des couleurs de layettes tant décriée par la première génération féministe.

Dans les familles, en automne, on évalue les achats nécessaires pour chacun afin d’être prêt dès l’arrivée des premiers flocons. Ici, Léo exprime son refus d’hériter des skis de sa sœur Estelle. Là, c’est Chloé qui ne veut pas de ceux de Thomas.

A l’heure de se refiler le matériel trop petit, la tâche des parents devient compliquée. Leurs propres parents n’étaient pas confrontés à pareilles réticences: filles et garçons chaussaient les mêmes skis.

La sexualisation de l’équipement sportif gagne du terrain. Il y a à peine une décennie, la plupart du matériel de sport était asexué. Aujourd’hui, n’importe quel produit semble justifier une différenciation. Justification marketing ou meilleure adaptation à l’usager?

«Sugar Mama», «She Devil», «Hot Minx», «Girlie Punx», «Attraxion», «Sweet Trouble» ou encore «Temptress». Autant d’appellations pour des skis «inspirés de la sensualité féminine» et «permettant le jeu de la séduction», dixit les constructeurs. Les filles et petites-filles des ex soixante-huitardes se laissent séduire…

Même phénomène sur le marché des VTT, indique Butch Gaudy, à la tête de MTB Cycle Tech, première entreprise européenne du secteur, fondée en 1983. Au début, seules trois indications importaient: la taille, le rapport entre la longueur des bras et des jambes et la pointure des chaussures. Depuis, le sexe s’y est ajouté.

«Aujourd’hui, trop de modèles de vélos pour femmes sont orientés exclusivement vers le design plutôt que la technique, mais depuis trois à quatre ans, on propose enfin aux femmes quelque chose de correct», estime Roli Hunziker, fondateur de la Lady Bike Academy.

Dans les descentes, les femmes sont généralement plus craintives que les hommes, a-t-il constaté. D’où la conception d’un modèle au guidon petit et plus haut donnant l’impression d’une pente moins raide. Les femmes moulinent des plus petits braquets, on munira donc leurs vélos de vitesses adaptées. Idem pour les selles, la hauteur du cadre, la grandeur des poignées de frein ou le poids.

Les accessoires suivent le mouvement. Depuis les gourdes roses jusqu’aux sacs à dos à petites fleurs en passant par des casques aux tons pastel, les femmes peuvent désormais s’équiper spécifiquement «femmes», de la tête aux pieds.

Pour ce qui est de l’habillement, Nike et Adidas font de la femme leur cible prioritaire. Pendant que le premier lançait une nouvelle ligne, baptisée Nike Women, le second faisait appel à la styliste Stella McCartney pour dessiner des modèles féminins. Le contrat de la styliste anglaise a été reconduit jusqu’en 2010.

Jusqu’ici, les lignes proposées aux femmes étaient une version féminisée des équipements pour homme. Les marques se contentaient de changer les couleurs. Stella est venu révolutionner cela.

Mais la féminisation de l’univers macho qu’était le sport va plus loin encore. Aux Etats-Unis, non seulement les produits, mais aussi les commerces, se différencient sexuellement. «Lady Foot Locker» compte déjà plus de 600 succursales.

La tendance a traversé l’Atlantique. En Grande Bretagne, c’est Sweaty Betty qui cartonne. La France compte deux enseignes aux articles de sport 100 % consacrés aux femmes, Lilysportive et Attractive.

A s’en tenir aux déclarations des fabricants, les femmes représentent actuellement 30 % du chiffre d’affaires des articles de sport. Le potentiel de développement du marché est bien réel.