Sous l’impulsion de son jeune patron neuchâtelois Vincent Perriard, la marque Concord a radicalement changé de stratégie et d’image. Prévu en novembre, son modèle C1 a surpris toute l’industrie. Rencontre avec une nouvelle race de patron horloger.
«On m’a donné carte blanche pour repenser cette marque, faire table rase et redémarrer complètement, inventer une nouvelle gamme de montres, opérer un changement radical de stratégie et d’image.» Ce n’est pas souvent qu’un groupe horloger accorde une telle confiance à un nouveau collaborateur. C’est pourtant ce qu’a fait le groupe américain Movado (MGI Luxury Group), propriétaire de Concord, en misant sur Vincent Perriard, un jeune Neuchâtelois de 38 ans, nommé en 2006 à la tête de la marque centenaire.
«On m’a appelé un vendredi pour me fixer, le lundi, un rendez-vous aux Etats-Unis avec le patron du groupe, Efraim Grinberg. J’ai parlé une heure avec lui de l’avenir de l’industrie horlogère. Le mardi, j’étais engagé comme CEO de Concord.»
Si Concord se cherchait ainsi un sauveur, c’est que la marque s’est lentement essoufflée. Sa position reste relativement forte aux Etats-Unis, en Asie et au Moyen-Orient («Là-bas, Concord est plus connu qu’Omega!») mais, en panne d’innovation, elle ne parvenait que difficilement à maintenir les ventes, et ses perspectives s’annonçaient sombres.
Née à Bienne en 1908, Concord a marqué quelques pages de l’histoire horlogère, notamment avec sa montre la plus plate du monde en 1979, la Delirium IV (0,98 mm d’épaisseur). La gamme Saratoga, qui représente 39% des ventes de Concord, figure par ailleurs parmi les classiques horlogers. «J’aime le défi de relancer une telle marque car j’ai tout de suite perçu son potentiel, dit Vincent Perriard. Mais la tâche est immense car quand je demandais aux gens de l’entreprise ce que représentait Concord en quelques mots, j’entendais toujours un grand silence… Malgré ses 100 ans, Concord n’a aucune tradition horlogère! Par contre, il y a de l’expertise, du talent, de la technologie: tout le monde se souvient de la Delirium par exemple. Il s’agissait de mettre en avant notre savoir-faire. Désormais, Concord sera une marque surprenante, audacieuse et moderne.»
C’est ainsi qu’est née la C1, un modèle qui n’a plus rien à voir, et c’est le moins que l’on puisse dire, avec ce que faisait la marque jusque ici. Elle sera commercialisée en novembre, un lancement mondial. Le service après-vente des anciens modèles sera assuré, mais la production cessera. «C’est un risque énorme car le développement a coûté très cher et si la C1 ne marche pas, on n’a rien d’autre! Mais je suis confiant car la réponse du marché a été excellente: on a commencé à récolter les intentions d’achat des revendeurs un jeudi à 9h. Le vendredi à 11h, tout était vendu!»
La métamorphose de marques, Vincent Perriard en a fait une spécialité. Il faut dire qu’il a été à bonne école: quatre ans chez Audemars Piguet. «Ce fut une expérience précieuse car, sous l’impulsion de Georges-Henry Meylan, AP a été complètement transformé: logo, couleurs, campagnes publicitaires, distributions, magasins. J’ai énormément appris en participant à la redéfinition de l’ADN d’une manufacture aussi prestigieuse.» Il fera bénéficier le groupe Swatch de cette compétence acquise, en consacrant deux ans à la relance de la marque Hamilton, avant de monter, en 2000, sa propre agence spécialisée dans le positionnement de marques de luxe, baptisée Brand DNA. L’agence existe toujours, mais Vincent Perriard a souhaité relever un autre défi. «Après six ans à Paris et deux ans à New York, me voilà de retour à Neuchâtel où j’ai acheté une maison.» Père de trois enfants, Vincent Perriard apprécie le calme de la Suisse.
Concord aussi prépare son retour sur le Vieux Continent. «L’Europe ne représente que 1% de nos ventes aujourd’hui! Je veux l’équilibrer équitablement avec l’Asie, l’Amérique et le Moyen-Orient. Cela signifie le développement massif du réseau de revendeurs et doper la notoriété par des campagnes de publicité. Nous aurons 80 points de vente pour le lancement. Nous comptons atteindre rapidement 250 à 300 revendeurs dans le monde, avec aussi des magasins en nom propre. Il y a peu de synergie avec les autres marques du groupe Movado car nous visons un autre segment. Il y a un esprit de startup chez le nouveau Concord: nous sommes seulement 8 personnes à Bienne, et 45 avec les représentants à l’étranger.» Fini le quartz, la fabrication des mouvements mécaniques est sous-traitée à ETA.
La refonte de la marque implique des changements importants au niveau de la production puisque l’ancienne ligne a été stoppée net. «En 2006, on a fabriqué entre 30’000 et 40’000 pièces. Cette année, on n’en produira que 2’500. A terme, nous visons une production de 8’000-10’000 montres par an. Le groupe Movado fait du volume, mais ce n’est pas son objectif pour Concord.» Pour les 100 ans de la marque Concord, en 2008, une série limitée de la C1 sera proposée.
«Et avec la C2, on frappera encore très fort. On va poser Concord là où on ne nous attend pas…»
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Concord C1, un chronographe typé
Le chronographe C1, premier modèle de la nouvelle gamme Concord, a été présenté cette année à Baselworld. Son look, complètement inattendu pour une marque plutôt conservatrice, a surpris tout le monde, la presse en premier: «Concord avait reçu six demandes d’interview en 2006. Cette année, nous en avons donné 137…», sourit Vincent Perriard.

Déclinée en chrono et en grande date, la C1 revendique «une robustesse poussée à l’extrême». Une solidité qui se perçoit par l’aspect massif de l’engin: 16,7 mm d’épaisseur et 44 mm de diamètre. 53 pièces composent la boîte étanche jusqu’à 200 mètres. Le bracelet en caoutchouc vulcarboné noir s’emboîte dans un élément en titane avant d’être rivé au boîtier par deux vis. «C’est une pièce voyante, dans la droite ligne des chronographes d’aujourd’hui, avec une forte personnalité. Nous allons continuer de surprendre l’industrie avec des modèles spectaculaires.»
La gamme sera augmentée d’une C2, présentée en 2008 éventuellement avec un modèle dame, puis une C3 en 2009-2010. «Mais on s’arrêtera, il n’y aura pas de C12!» Par ailleurs, la C1 n’est disponible qu’en deux déclinaisons: chrono et grande date. «Nous ne voulons pas multiplier les références.» Le repositionnement de Concord s’accompagne aussi d’un changement tarifaire. «Le prix moyen passe de 1’700 francs à 13’500 francs, c’est dire si nous changeons aussi le cœur de cible…»
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Le groupe Movado
De racines historiques helvétiques, Movado est cependant devenu américain par rachat. L’entreprise Movado, qui signifie «toujours en mouvement» en espéranto, a été fondée en 1881 à La Chaux-de-Fonds. En 1983, elle est rachetée par North American Watch Corp. Auparavant, ce groupe américain avait acquis, au début des années 1970, la marque Concord, basée à Bienne. Il achètera ensuite d’autres marques: ESQ en 1993 et Coach en 1998. C’est en 1996 que le groupe américain se rebaptise Movado Group Inc (officiellement MGI Luxury Group). Iconique et célèbre, la marque Movado reste la locomotive du groupe. La diversification s’est cependant accélérée ces dernières années, avec des sous-traitances pour des marques de mode (Tommy Hilfiger, Lacoste, Hugo Boss) et le rachat d’Ebel (en 2004). Le chiffre d’affaires du groupe dépasse désormais les 500 millions de dollars.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Trajectoire d’automne 2007.
