Alors que les finances publiques sont excellentes, des négociations s’ouvrent entre l’Union européenne et la Suisse sur les désaccords fiscaux. Sauf que ce ne sont pas des négociations, mais «un dialogue sur nos différences».
C’est un peu SuperMerz, cette semaine. Notre ministre des finances risque en effet de se retrouver, grâce aux comptes 2007, à la tête d’une montagne d’excédents: plus de trois milliards. Mécaniquement, la plupart des postes fiscaux ont crachoté bien plus qu’on leur demandait. Bienvenue donc dans le monde enchanté des caisses pleines et de l’eldorado alpin.
Face au climat de désolation instauré par l’UDC en campagne, qui dressait le portrait d’une Suisse assiégée par des moutons bronzés et une Union européenne butée, certains politiciens, surtout radicaux, avaient d’ailleurs tenté de le rappeler: nous vivons, plus que jamais, en Cocagnie.
Le même Merz a présenté la stratégie de la Confédération pour les négociations qui s’ouvrent avec l’UE sur les désaccords d’ordre fiscal. Sauf que ce ne sont pas, du point de vue suisse, des négociations, mais «un dialogue sur nos différences».
Autrement dit, rien à négocier, Messeigneurs: si la Suisse accueille à bras ouverts des entreprises européennes qui font des bénéfices dans l’Union et leur permet de n’être taxées que sur le territoire immaculé, modeste et confédéral de leur siège délocalisé et quasi fictif, ce n’est qu’une question de «différences». Juste une spécialité suisse, donc inviolable, inattaquable, et on est prié d’applaudir dans les travées bruxelloises.
Derrière ces rodomontades merziennes, la réalité se fait pourtant moins folichonne. Déjà l’UDC, suivie sans doute bientôt par les radicaux, brandit la bonne santé des caisses fédérales pour réclamer une baisse massive de la pression fiscale. Une baisse qui va bien au-delà des excédents ponctuels et devrait s’appuyer sur une solide cure d’amaigrissement des services publics et une redistribution sociale sévèrement ciblée.
Les baisses d’impôts, voilà pour l’UDC mais également les radicaux, un thème aussi populaire et prometteur que la chasse aux moutons noirs — le nombre de citoyens ravis d’acquitter la dîme n’étant en Suisse pas plus élevé qu’ailleurs. Ainsi vient-on de voir même le journaliste catholique-radical et centriste autoproclamé Pascal Décaillet applaudir la cure d’amaigrissement fiscal réclamée par l’UDC. Et réussir ce tour de magie sémantique: qualifier de «volonté citoyenne» la pulsion tripale de ne «plus se laisser tondre» par l’Etat.
Comme quoi on peut commencer par louer les grandeurs de la démocratie athénienne et finir dans l’habit grisouille de Poujade.
Reste que l’excellence des finances publiques, l’antienne claironnée que la Suisse économique pète le feu et les baisses significatives d’impôt réclamées vont rendre encore plus décalée et presque surréaliste la posture blochérienne d’un pays en butte aux malveillances de l’internationale des bureaucrates et des profiteurs de tous les pays, qui, eux, vont plutôt mal.
A cet égard, les déclarations de l’écrivain et essayiste français Pascal Bruckner dans l’Hebdo se révèlent très éclairantes. Sollicité sur la montée de l’UDC, il souligne que si le phénomène ne relève pas strictement de l’extrême droite, il révèle néanmoins l’envers du génie suisse, «l’idée que le monde se réduit au canton que j’habite».
Et d’oser invoquer Levi-Strauss louant le choix des sociétés primitives: «la fermeture au nom de la particularité culturelle». Mais, ajoute Bruckner, ce qui est admissible des petites sociétés l’est moins de la Suisse, qui aura toutes les peines du monde, face à l’Europe, face à l’émigration, face à la mondialisation, à passer pour une victime crédible.
C’est tout le problème d’une Suisse prétendument aux abois et dont les malheurs sont perçus, par le reste du monde, au mieux comme un vague à l’âme de riches à l’heure du thé, avec cuiller d’argent, lamentations et petit doigt levé.
