LATITUDES

Philippe Senderos, le colosse de la Nati

Depuis son fameux but contre la Corée du Sud l’an dernier, visage en sang, le défenseur genevois est devenu une icône. Il se confie.

À seulement 22 ans, Philippe Senderos foule déjà les pelouses en briscard. Repéré il y a cinq ans par le très prestigieux club londonien d’Arsenal, le défenseur genevois, devenu entretemps un pilier de l’équipe nationale, poursuit son irrésistible ascension.

Réputé pour sa combattivité et sa discipline, le colosse de la Nati (1,90m pour 85kg), de mère serbe et de père espagnol, symbolise la Suisse qui gagne, décomplexée et ambitieuse.

Chef de fil de sa génération, Senderos a ouvert la voie avec la sélection M17, en remportant en 2002 l’Euro des «moins de 17 ans». Exploit historique.

Quatre ans plus tard, l’image de son but libérateur face à la Corée du Sud lors du mondial allemand, visage ensanglanté, doigt pointé vers le ciel, fait le tour du globe. C’est la naissance d’une icone, Senderos le leader, grand monsieur sous ses airs de mauvais garçon. Il a répondu à nos questions.

Depuis votre fameux but de la tête contre la Corée du Sud (quatre points de suture à l’arcade sourcillière), l’an dernier lors du mondial allemand, vous êtes devenu une icone en Suisse et à l’étranger. Comment se manifeste cette notoriété accrue?

Philippe Senderos: Après notre match contre la Corée, j’ai reçu énormément de messages d’encouragement, souvent en provenance de pays d’Asie ou d’Europe de l’est, où les fans de foot suivent avec passion le championnat anglais. Certaines personnes m’ont même envoyé des cadeaux, comme des statuettes. Aujourd’hui, je continue de recevoir une pile de lettre chaque semaine. Je réponds à tout le monde en dédicaçant une photo et ma mère s’occupe ensuite de gérer les envois. Depuis cet été, je dispose aussi d’un site Internet www.philippesenderos.com) où les gens peuvent me contacter.

Vous vivez à Londres depuis maintenant plus de quatre ans. Est-ce que vous vous y plaisez?

Oui beaucoup. Londres est devenu mon deuxième chez moi. Le fait d’être heureux professionnellement y contribue largement.

A quoi ressemble une journée de Philippe Senderos?

Je me lève vers 8h30 et je pars au stade à 9 heures. La journée commence par de la gym et des massages. L’entraînement débute à 11 heures et dure jusqu’à environ 13 heures. Je quitte le stade vers 14h30 après avoir mangé. De retour chez moi, je dors une heure. Dès 17 heures, j’ai du temps pour moi. Je sors parfois manger avec des amis ou je vais au cinéma.

Vous fréquentez les pubs anglais?

(Rires) Non, pas vraiment, vu que je ne bois pas et que je ne fume pas.

Vous avez la réputation de disposer d’une volonté et d’une discipline de fer. Votre mère a même dit un jour que vous vivez comme un moine…

J’ai toujours beaucoup travaillé pour atteindre mes buts. Quand j’étais junior, je n’étais de loin pas le meilleur joueur et je le savais bien. Mon parcours montre qu’avec de la détermination, tout est possible.

On vous voit souvent afficher une mine sévère, comme sur la page d’accueil de votre site internet, où vous avez tout l’air d’un bad boy. Un look que vous cultivez?

(Rires). Non, pas du tout. C’est juste que je me sens bien ainsi. Je porte les cheveux très courts depuis longtemps. C’est vrai, ma mère et mes amis souhaiteraient que je les laisse pousser…

Quel lien conservez-vous avec la Suisse?

Je reste genevois de cœur, c’est clair. Et je rentre aussi souvent que possible pour visiter ma famille et mes amis. En fait, dès que je dispose de deux jours de libre, ce qui n’arrive que très rarement… L’an dernier, je n’ai pas pu me rendre à Genève plus de deux ou trois fois. Mais j’entretiens des contacts téléphoniques quasi quotidiens avec mes parents ou mon grand frère Julien. Mon engagement en équipe nationale me donne aussi l’occasion de passer du temps en Suisse. Le fait de vivre à l’étranger a encore renforcé mon attachement à la patrie. Loin de son pays, on réalise mieux à quel point la Suisse est une bulle, un endroit à part.

Justement, cette victoire à l’Euro 2008, vous y croyez?

Mais bien sûr. Nous en rêvons tous! Il faut gardez la mentalité d’un enfant, même si nous sommes aussi obligés de nous fixer des objectifs à court terme. L’esprit qui anime l’équipe de Suisse a évolué dans le bon sens au cours de ces dernières années. Nous ne faisons plus de complexes, même face aux grandes nations. Le fait d’avoir déclaré que nous voulons gagner l’Euro reflète ce culot. C’est peut-être risqué, mais mieux vaut voir grand que petit, non?

L’état de forme de la Nati n’invite pas forcément à l’optimisme…

Nos performances actuelles ne reflètent pas vraiment la valeur de l’équipe. Lors des matches de préparation (ndlr: la Suisse, co-organisatrice de l’Euro avec l’Autriche, est qualifiée d’office pour la compétition), l’absence d’enjeu fausse un peu les résultats. Il manque l’adrénaline, si nécessaire pour élever son niveau de jeu. Si nous étions éliminés au premier tour de l’Euro, cela constituerait une immense déception.

Vous n’hésitez pas à donner de votre temps pour divers projets destinés aux enfants. Vous sentez-vous investi d’une mission particulière?

Je ne cherche absolument pas à m’ériger en modèle. Mais à travers mon expérience, j’ai envie de montrer aux plus jeunes qu’ils peuvent réaliser leur rêve. J’essaye de transmettre certaines valeurs, comme le goût de l’effort. Et puis, quand je passe du temps avec les juniors du Servette, c’est aussi une façon de rendre au club un peu de ce qu’il m’a donné. À Arsenal, également, des journées consacrées aux enfants sont régulièrement organisées. J’y prends part avec plaisir chaque fois qu’on me sollicite.

Voyager aux quatre coins de l’Europe et du monde sans jamais visiter les endroits où vous débarquez, en dehors des hôtels et des stades, n’est-ce pas frustrant à la longue?

J’ai tellement rêvé de ce métier que cela ne représente pas un grand sacrifice. Bien sûr, j’adorerais visiter tous ces pays, mais franchement, les footballeurs professionnels n’ont pas à se plaindre de leur vie.

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Senderos à propos de…

Servette
«Servette, mon club formateur. J’habitais à 10 minutes à pied du stade des Charmilles, où j’accompagnais mon père pour regarder les matches. Les joueurs du club étaient mes idoles. Dès l’âge de six ans, j’ai su que je voulais faire du football mon métier. Par la suite, je n’ai jamais abandonné cet objectif. Je me rappelle encore de tous mes matches avec la première équipe.»

M17, l’Euro des «moins de 17 ans»
«L’un des moments les plus forts de ma carrière. Nous avions gagné en finale contre la France aux penaltys. Il s’agit d’une victoire historique. Auparavant, la Suisse n’avait jamais remporté une compétition internationale en football. L’état d’esprit était fantastique, le staff avait crée un groupe très solide et parfaitement préparé. Sur la photo, on me voit avec le brassard de capitaine en train de soulever la coupe.»

La célébrité
«Je ne cherche absolument pas à m’ériger en modèle. Mais à travers mon expérience, j’ai envie de montrer aux plus jeunes qu’ils peuvent réaliser leur rêve. J’essaye de transmettre certaines valeurs, comme le goût de l’effort. Et puis, quand je passe du temps avec les juniors du Servette, c’est aussi une façon de rendre au club un peu de ce qu’il m’a donné. À Arsenal également, des journées consacrées aux enfants sont régulièrement organisées. J’y prends part avec plaisir chaque fois qu’on me sollicite.»

Thabo Sefolosha
«Thabo symbolise à merveille cette Suisse qui gagne, cosmopolite et multiethnique.
Je le connais bien, nous avons un ami commun, et il faut dire aussi que mon frère Julien avait joué en sélection nationale avec lui. C’était avant que Thabo ne tente sa chance en NBA, avec le succès que l’on sait. Il est aujourd’hui l’un des sportifs suisses les plus en vue, avec Roger Federer, évidemment, dont je suis par ailleurs un grand fan. Si l’occasion se présente, j’aimerais beaucoup le rencontrer.»

Sa tête
«Mon fameux but de la tête (1-0) lors du troisième match de la phase qualificative de la Coupe du monde, face à la Corée du Sud… N’importe quel joueur rêve de vivre ce type de rencontre. Ce jour-là, je suis passé par toutes les émotions. En marquant de la tête, je m’ouvre l’arcade droite dans un choc avec le défenseur coréen. Nouveau choc en deuxième mi-temps: je me démets l’épaule et me voilà contraint de quitter le terrain. Après qu’on m’a remis l’épaule en place dans les vestiaires — un moment de souffrance –, j’ai suivi fébrilement le match depuis le banc. Il nous fallait absolument inscrire le 2-0 pour assurer notre qualification. Dans l’instant, je n’ai pas du tout pensé à ma blessure. Ce n’est qu’au coup de sifflet final que j’ai vraiment réalisé que, pour moi, le Mondial s’arrêtait là. Ce fut une expérience très douloureuse, voir ainsi les copains poursuivre la route sans pouvoir participer à l’aventure.»

Arsenal et la Champion’s League
«Mon troisième et dernier goal en date avec Arsenal, le premier dans notre nouveau stade (l’Emirate Stadium, arène ultramoderne de 60’000 places assises, ndlr)… Encore un but de la tête… Il s’agit évidemment d’instants inoubliables. Et dire que quand j’étais gosse, je vouais un culte à ce club. Avec mes copains, on suivait chaque semaine le championnat anglais et l’on ne jurait que par Arsenal. Cette saison, nous tenterons une nouvelle fois de remporter la Ligue des Champions, après être passé tout près en 2006 (défaite 2-1 en finale face à Barcelone).»

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Une version de cet article est parue dans le magazine BabooTime de décembre 2007.