KAPITAL

Stöckli slalome entre la concurrence

La marque suisse de ski peut se féliciter d’une progression à deux chiffres. Une véritable performance sur un marché en contraction, dominé par les grands groupes.

Beni Stöckli est un entrepreneur qui respire. Contrairement au catastrophique hiver 2006, la neige est cette saison au rendez-vous dans les Alpes pour les fêtes de fin d’année.

Le président et directeur général de la marque de ski lucernoise Stöckli peut d’ores et déjà annoncer une progression de 5 à 10% de son volume de vente par rapport à 2006-2007. De quoi améliorer encore le bilan du fabricant de ski, numéro un suisse de la branche, dont le chiffre d’affaire a quintuplé en quinze ans, passant de 10 à 50 millions avec des exportations dans trente-deux pays.

Au cours de l’hiver 2006-2007, Stöckli avait écoulé plus de 50’000 paires de lattes dont 40% à l’étranger. Il maintenait ainsi son niveau des années précédentes alors même que les leaders du marché accusaient le coup des mauvaises conditions d’enneigement. En Suisse, la branche enregistrait son plus mauvais exercice de ses vingt dernières années avec un maigre résultat de 250’000 paires vendues, soit une baisse de 20% par rapport à l’année précédente. Le groupe finlandais Amer, qui possède Atomic et Salomon, supprimait un sixième de ses effectifs en Autriche, le personnel d’Atomic tombant à 400 employés.

Malgré cette bonne santé et une diversification réussie dans les accessoires de sports d’hiver et le vélo, Stöckli qui emploie 200 personnes reste le petit poucet d’une branche dominée par les grands groupes multinationaux. Rossignol-Dynastar, le numéro un du secteur qui appartient au groupe d’équipement sportif Quiksilver, représente 30% du marché. La firme française devance Amer, deuxième avec environ 25% du gâteau mondial, suivent Fischer, Völkl, K2 et Head. A elles seules, ces majors du ski fabriquent 75 à 80% de la production mondiale.

Elles entretiennent leur hégémonie en équipant les meilleurs skieurs professionnels. Des vainqueurs qui embrassent leurs lattes à la fin de leur descente victorieuse: une image d’Epinal des aires d’arrivées de la Coupe du Monde et un outil promotionnel efficace pour les marques représentées sur le podium.

Stöckli a bien compris cette opportunité. Son arrivée en 1994 sur la Coupe du Monde par l’intermédiaire du géantiste suisse Urs Kälin, puis de Paul Acolla et de Tobias Grünenfelder, a coïncidé avec sa rapide croissance: «Cette présence est essentielle pour assurer la visibilité de notre marque, elle remplace valablement la publicité. En plus, cela motive nos développeurs à produire des skis toujours plus performants», assure le directeur.

Avec un budget annuel d’un peu plus de 1 millions pour le ski de compétition, Stöckli ne peut s’offrir les stars du cirque blanc comme Didier Cuche, mais elle mise sur les jeunes qui montent en grade comme le Genevois Olivier Brand, vainqueur de la Coupe d’Europe de Super-G l’an dernier.

La success story de Stöckli ne s’explique pas entièrement par ses résultats en Coupe du Monde, elle se fonde aussi sur une stratégie de distribution unique en Suisse, basée sur la verticalité et l’exclusivité. «Nous possédons onze magasins à notre effigie qui font de la vente directe en plaine comme à St-Légier dans le canton de Vaud. En station, nous assurons à nos partenaires l’exclusivité dans leur vallée.»

Grâce à ce système sans intermédiaire, la marque peut pratiquer des prix attrayants: sans fixation, une paire coûte de 399 à 849 francs en fonction du modèle. «Pour la même qualité, Stöckli propose des skis moins chers que la concurrence étrangère qui doit passer par des importateurs», confirme Jérôme Favre, propriétaire du magasin Univers Sport à Genève dont la moitié des ventes de skis sont assurées par la marque lucernoise.

Cette politique de proximité a permis à Stöckli de s’installer durablement sur le marché suisse alors que les autres marques helvétiques comme Authier ont dû renoncer face à la concurrence mondialisée quand celle-ci s’est intensifiée dans les années 90.

L’histoire de Stöckli remonte à 1935, lorsque Josef Stöckli lance sa Skifabrik Stöckli à Wolhusen. A l’époque, la petite manufacture évolue déjà dans un marché très concurrentiel puisqu’on compte une trentaine de fabriques de ski dans le pays. Pendant plus de cinquante ans, elle reste confinée dans sa région lucernoise jusqu’à son entrée sur la Coupe du Monde qui lui offre un statut national, puis international.

Aujourd’hui, 40% de ses skis partent à l’exportation, une part en augmentation. Cette pénétration planétaire profite du label Swiss Made, mais aussi d’une bonne réputation dans les magazines spécialisés. «Ils sont très bien sortis dans nos tests cette année, acquiesce Laurent Belluard, rédacteur en chef du mensuel français Skieur Magazine. C’est un ski qui avait par le passé une réputation de difficulté et d’intransigeance. On le comparait à une mule. Les développeurs de Stöckli l’ont nettement amélioré dans un souci de confort sans perte de performance pour autant.»

Positionné pour la piste et la compétition plutôt que le freestyle, Stöckli tente également de corriger ce déséquilibre depuis deux saisons: «Mais le design pêche un peu dans ce domaine. Au niveau cosmétique, Stöckli ne séduit pas vraiment les freeriders en dépit de la qualité de leurs produits», remarque Laurent Belluard.

La série limitée Alinghi de l’an dernier, un ski asymétrique développé en compagnie du freerider Dominique Perret et des designers du défi helvétique, a pourtant fait un joli coup de pub à l’entreprise dans ce domaine. Stöckli renouvelle d’ailleurs l’expérience cette année avec 600 exemplaires proposés au prix de 1200 francs.

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Stöckli n’est plus tout seul
Deux autres marques de ski suisses essaient de se frayer un chemin sur la neige de nos montagnes. Fondée à Disentis dans les Grisons, Zai vise le secteur du luxe avec des équipements complets (skis, fixations et bâtons) allant de 3’300 jusqu’à 5’500 francs pour leur modèle exclusif en pierre qui offrirait, selon le directeur de Zai, «une stabilité exceptionnelle sur la neige».

Ce fabricant de niche, né en 2003, a écoulé l’an dernier 850 paires à travers le monde. Basée à Vevey, la marque Movement fait mieux puisqu’elle a vendu 15’000 paires l’an dernier. Ses directeurs sont des anciens de la marque de snowboard Wild Duck. Ils privilégient uniquement l’aspect fun et freestyle. Au contraire de Zai et Stöckli, qui fabriquent en Suisse, la manufacture Movement emploie une centaine de personne en Italie.

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 20 décembre 2007.