Le monde est en crise? Normal, c’est sa nature. Qu’il arrête de bouger, nous coulons. Mettons qu’il y a des jours (ou des années) où les turbulences sont un peu plus prononcées, où il s’agit de s’accrocher pour ne pas tanguer trop fort. L’année qui pointe le bout de son nez s’annonce grosse de tempêtes. Quel que soit l’angle sous lequel on l’observe.
Prenez la mondialisation. Elle péclote. On sent qu’elle commence à inquiéter. Le patriotisme économique à la française fait des émules. Des journaux peu suspects d’étatisme tels que Le Temps ou Le Monde ont publié ces derniers jours en pages rédactionnelles des analyses développant quelques interrogations sur les limites à apporter au lucratif bal des multinationales. En question, la spéculation effrénée, la fragilité d’obscurs montages financiers, la destruction massive de tissus industriels irremplaçables, l’irresponsabilité de dirigeants surpayés, le besoin de recourir à l’aide des Etats. Il y a soudain un appel à la responsabilité globale de la part des puissants que l’on n’aurait jamais lu il y a encore quelques mois. Il s’agit ni plus ni moins de freiner la mondialisation.
Surgit aussi une sournoise inquiétude à propos de la faiblesse inattendue de certaines institutions réputées inébranlables. Comme UBS. Que l’on ait pu subodorer (entre les lignes) la crainte d’une faillite du colosse de la place bancaire helvétique en dit long sur les fourvoiements des chevaliers de la finance mondiale.
En ce qui concerne l’avenir, l’appel au secours adressé par UBS à un Etat (Singapour) pour sauver les meubles est encore plus éloquent. Comment? Comment? Les gnomes de Zurich ont besoin des Chinois pour survivre?
Oui. Ils vont même, selon toute probabilité, ouvrir toutes grandes les portes de leur conseil d’administration à une personnalité, Lee Kuan Yew, inventeur d’une forme soft de national-socialisme hyperlibéral dont l’originalité n’a pas échappé aux dirigeants de Pékin. Voilà qui nous change de l’orgueilleux «Y en a point comme nous»! (Et, soit dit en passant, voilà qui a sans doute contraint Blocher à mettre de l’eau dans son vinaigre).
Toujours sensible à l’air du temps, le Forum de Davos ne rate pas le coche. Fin janvier son assemblée annuelle sera placée sous le signe de l’innovation dans la collaboration. Au diable l’individualisme stérile!
La quête d’un équilibre visant à éviter un enterrement de première classe du libre-échange au profit d’un retour au protectionnisme s’annonce des plus difficiles. Maintenant déjà, deux des trois grandes institutions régulant l’économie mondiale (Banque mondiale, FMI, OMC) sont dirigées par des sociaux-démocrates, Pascal Lamy et Dominique Strauss-Kahn. Si DSK vient de prendre ses fonctions, Lamy est en place depuis 2005. Or sa sensibilité socialiste n’a guère marqué les relations commerciales internationales.
L’imbroglio proche-oriental
Sur le plan militaire, la bonne parole mondialisée à coups de roquettes ne se porte pas mieux. Personne ne croit à une solution proche du conflit israélo-palestinien. Sur les deux autres fronts principaux, l’Irak et l’Afghanistan, il n’est pour l’heure pas possible de dessiner ne serait-ce que l’esquisse d’une conclusion honorable des guerres en cours.
Sur l’Irak – campagne électorale présidentielle oblige – l’administration américaine fait un énorme effort de désinformation. Ce qui n’empêche ni les cadavres de joncher les rues, ni l’insécurité de régner. Les Irakiens doivent se résigner à attendre le retour à leur souveraineté et le départ des occupants tout en sachant que la solution ne sera pas militaire mais politique et que la partie se jouera aux Etats-Unis.
Par contre, en Afghanistan où les Américains ont eu l’habileté d’impliquer en première ligne les Européens à travers l’OTAN, c’est bien une défaite militaire qui pointe à l’horizon. Les troupes étrangères déployées dans le pays depuis plus de cinq ans sont prises au piège des guérillas locales. Au lieu de plastronner en se disant prêt à envoyer des troupes supplémentaires, Sarkozy ferait mieux de revoir son histoire de France et se souvenir de Diên Biên Phu, l’humiliante défaite qui en 1954, quelques mois avant sa naissance, activa le rétrécissement hexagonal de la grandeur française.
Pour éviter un désastre prévisible, la voie diplomatique devrait s’imposer, avec un détour obligé par Téhéran et Karachi, et, plus loin, Pékin et Moscou. La mort brutale de Benazir Bhutto, pièce maîtresse de la nouvelle politique de Washington au Pakistan est une confirmation sanglante de ce désastre.
Le regain nationaliste
En politique, la balance penche à nouveau vers le renforcement des Etats et de son corollaire, le nationalisme. Nous allons en avoir une première démonstration début mars avec l’élection présidentielle russe qui d’élection n’aura qu’une apparence vide de contenu.
Cet événement suscite la réapparition d’une catégorie d’observateurs politiques que l’on pensait naguère disparue à jamais, les kremlinologues. Ils eurent leur heure de gloire à l’époque soviétique quand le secret le plus absolu enveloppait les activités des hauts dirigeants. La même opacité règne aujourd’hui. Chacun doit donc se hasarder à échafauder des hypothèses, jeu hasardeux mais attirant. Reste le fait qu’au cours de l’année 2007, Vladimir Poutine, misant sur un nationalisme exacerbé, est parvenu à redonner à la Russie une place de tout premier plan dans les relations internationales.
C’est aussi le repli national qui s’annonce aux Etats-Unis où, en novembre prochain, les électeurs risquent fort de se prononcer pour les démocrates. Ces derniers, de manière subtile et nuancée, laissent miroiter un retour aux valeurs fondatrices de la politique intérieure avec – pied de nez aux néo-conservateurs! – un rôle accru de l’Etat fédéral en matière sociale, notamment sur l’assurance maladie. Il s’agit de panser les plaies causées par les excès spéculatifs et la crise des «subprimes».
Deux dangers : le Kosovo et le nucléaire
L’histoire nous l’enseigne: les grandes tendances, les plans les mieux préparés, achoppent le plus souvent sur des questions apparemment secondaires dont le pourrissement peut provoquer des ébranlements aux conséquences incalculables.
Deux politiques élaborées au cours de ces derniers mois sont singulièrement susceptibles de dégénérer.
La première est la position euraméricaine sur le Kosovo. J’en ai parlé ici même il y a peu, je n’y reviendrai pas. Mais le risque d’une nouvelle implosion des Balkans s’accroît de jour en jour. Moscou ne reculera pas sur la Serbie.
La seconde que j’ai abordée en été ici aussi est en train de prendre une ampleur inimaginable. Tous les grands (Russie et France en tête) se sont mis à vendre du savoir-faire et des centrales nucléaires en veux-tu en voilà! C’est à qui aura ses plus belles centrales! Sans se soucier du contexte politique ou technico-culturel des acheteurs. Il s’agit uniquement de vendre, au plus vite, au plus offrant.
Cette prolifération nucléaire est le grand scandale du dernier trimestre 2007 dont nous (nous, êtres humains) paierons immanquablement la facture un jour ou l’autre. Cette euphorie nucléaire est ignoble. On devrait obliger tout marchand de centrale à passer trois mois à chasser les lièvres mutants à Tchernobyl et dans ses environs.
Cette ignominie se déroule sur fond de jérémiades indécentes sur les changements climatiques, les impératifs du développement durable, les proclamations écologiques. Proclamations certes sonores mais jamais mises en pratique. A voir le pullulement des 4X4 dans des villes bien plates, les croyants ne se pressent pas au portillon.
Osé-je, après de tels augures, vous souhaiter malgré tout une bonne année 2008?
J’ose.