Qui va prendre des mesures pour freiner la récession qui arrive? Les managers? Les hommes politiques? L’économie domine en toute autonomie nos frêles existences.
Rarement, dans la politique mondiale, l’avenir se sera dessiné de manière aussi trouble. Surtout à l’approche d’une récession annoncée avec autant de certitude que celle d’une tornade suivie dès sa formation par les météorologues. Qui donc va tenir la barre dès que cela se mettra à tanguer dangereusement?
Depuis près de vingt ans maintenant, l’économie planétaire, mondialisée et globalisée, domine en toute autonomie nos frêles existences. Quelques individus ne répondant qu’à leurs conseils d’administrations et à leurs actionnaires (eux aussi mondialisés) peuvent, sur un simple coup de téléphone, désertifier du jour au lendemain une région réputée fertile par le déplacement d’un secteur alimentaire ou faire valser un empire industriel d’un continent à l’autre par simple délocalisation.
En la matière, seule compte une logique financière qui, pour l’essentiel, ne se préoccupe ni de la nature ni des hommes. Encore moins de leurs gouvernants.
Les grandes institutions mondialisantes, l’OMC, la Banque mondiale, le FMI, se limitent à une gestion technique des échanges en évitant soigneusement de se mêler de politique, de morale ou de projection dans l’avenir.
La politique et la morale, le respect des droits de l’homme, la lutte contre les conflits et les guerres, les interrogations sur le futur sont magnanimement abandonnées aux bons soins des ONG ou de cette immense machine ingouvernable qui s’appelle l’ONU (et ses organisations spécialisées).
Ce vide politique béant est gros de catastrophes. A ce niveau-là, l’anarchie est porteuse de mort et de ruine. L’humanité en a encore fait la douloureuse expérience dans les années 1920-1930.
Mais il s’agissait à l’époque de la crise mondiale des protectionnismes, des frontières, des cartels, des limites en tous genres dont la planète était bardée. Aujourd’hui, c’est l’inverse. La crise qui s’annonce est celle de l’ultralibéralisme, de la bride laissée sur le cou de dangereux spéculateurs jouant sans aucun contrôle avec l’argent de tous. Il s’agit donc pour reprendre un terme à la mode de crise de gouvernance.
Quoi que l’on en pense, la solution ne peut être que politique. Mais d’où viendra-t-elle?
Comme dans l’entre-deux-guerres, les dictatures semblent s’en sortir mieux que les démocraties. La Russie et la Chine — deux dictatures national-communistes dont les dirigeants (ou, plus précisément, le groupe dirigeant) prouvent depuis quelques années qu’ils parviennent à concilier le corsetage étatique de vastes populations et un libéralisme effréné — font preuve d’un dynamisme inattendu.
Paradoxalement, ils ont retourné comme une crêpe le vieux rêve de socialisme à visage humain cher aux années 60 en un capitalisme à visage communiste propre à satisfaire des millions de candidats à la société de consommation.
Il fallait le faire! Leur maîtrise totalitaire des matières premières pour Moscou, des flux financiers pour Pékin, leur permettent de considérer l’avenir proche avec sérénité. Pour le reste, une devise compte: après moi, le déluge…
Sur le déclin, les Etats-Unis ne parviennent pas à se ressourcer afin de rebondir pour engager une nouvelle phase de leur développement. Ils se sont transformés en jouisseurs d’une rente assurée par leurs succès d’après-guerre et n’ont pas encore touché le fond de la crise.
En témoigne cette campagne électorale étrange où un vieillard conservateur s’apprête à envoyer au tapis deux challengers dont l’essentiel des arguments électoraux portent sur la forme — la couleur ou le sexe — et non sur le contenu.
Conscients que leur salut ne peut venir que d’une ébauche de reprise économique, tous les candidats (quoi qu’en dise Obama) ne pourront que se rallier à la guerre au Proche-Orient, à son prolongement éventuel vers l’Iran, afin de maintenir la puissance du complexe militaro-industriel, d’en extraire quelques miettes pour les petites gens et, rien ne se perd, neutraliser une jeunesse qui pourrait devenir frondeuse.
Dernier partenaire majeur de ce concert des puissances, l’Europe se retrouve elle aussi à la peine. Son personnel politique est de moins en moins à la hauteur. Manque de culture politique et historique, visions à court terme, nanisme nationaliste en sont ses caractéristiques principales.
En France, Sarkozy s’est dégonflé comme la baudruche qu’il a toujours été. (En fin de compte, Yasmina Reza dans «L’aube le soir ou la nuit», avait vu très juste. Le monsieur qui lui déclare une fois son élection assurée, «Je vais me retrouver avec un palais à Paris, un château à Rambouillet, un fort à Brégançon. C’est la vie», est un enfant. Un enfant qui dirige la France selon son humeur, mais qui, comme les enfants, ne voit pas plus loin que le bout de son nez). Cela augure assez mal de la future présidence européenne de la France.
En Italie, la hâte de Berlusconi à prendre sa revanche sans attendre la réforme d’une loi électorale dont chacun sait qu’elle est boiteuse va prolonger le coma politique du pays. Le «cavaliere» risque fort de gagner, mais à quel prix? Sa coalition, mise sur pied dans une fièvre vindicative, est aussi hétéroclite que la défunte «Unione» de Prodi.
Comme le Vatican se mêle de la partie en relançant la question de l’avortement, cela promet un bel imbroglio, mais rien de sérieux en politique internationale. Rien non plus au niveau européen.
L’Allemagne entre dans une campagne électorale qui va la paralyser pendant deux ans. Démocrates-chrétiens et sociaux-démocratiques se marchant dessus pour occuper le centre, on ne voit pas Angela Merkel en situation d’imprimer un dynamisme réformateur dans sa politique étrangère.
Quant à la Grande-Bretagne, plus distante que jamais du continent, elle est contrainte de gérer dans la douleur les quelques restes de sa grandeur impériale. Elle dispose toutefois en Tony Blair d’un homme d’Etat de stature mondiale qui, s’il en venait à prendre la présidence de l’Union européenne en janvier prochain, pourrait jouir d’une certaine autorité.
Mais, il nous l’a montré quand il gouvernait, son dynamisme dépend étroitement de ce qui se passe à Washington. Aux côtés d’un McCain, il ne pourrait que jouer les grenouilles de bénitier.
