En Suisse, les propriétaires souhaitant installer des panneaux solaires se heurtent souvent aux autorités, qui appliquent encore à la lettre les mesures de protection du paysage. Enquête.
Trois ans. Yves Christen a dû lutter durant trois ans pour installer 6m2 de panneaux solaires sur le toit de sa maison en vieille ville de Vevey. Après des demandes répétées, le Conseiller d’Etat François Marthaler a finalement donné l’impulsion pour modifier la commission cantonale des sites protégés. L’autorisation de construire a alors pu être accordée, moyennant un simple changement de la disposition des panneaux.
Mais d’autres propriétaires n’ont pas la notoriété d’Yves Christen, ancien conseiller national, et n’obtiennent pas gain de cause.
C’est notamment le cas de Bernard Rossier, médecin retraité à Grandvaux : «Par conscience écologique, je cherchais à investir dans les énergies renouvelables. Mais cela a été le début d’une longue saga…» Lorsqu’il a soumis son projet d’installation de cellules photovoltaïques sur son toit, la commission cantonale des sites protégés a délivré un préavis négatif en raison de sa visibilité excessive depuis le village et le vignoble.
«Mais nous ne sommes visibles ni depuis le village, ni depuis le vignoble! Je trouve extraordinaire que la commission ne se soit même pas déplacée pour le constater.» Depuis, Bernard Rossier a demandé autorités qu’elles réexaminent son cas. Il attend toujours une réponse.
Les propriétaires ne contestent pas la légitimité des mesures restrictives visant à protéger les paysages et le patrimoine bâti: ils regrettent simplement l’attitude bornée des autorités. «Dans les préavis négatifs, on ne trouve que des termes comme «éblouissement» ou «visibilité depuis des zones clés».
Les autorités n’ont pas bien intégré l’idée qu’il s’agit d’énergies renouvelables, qui sont indispensables au développement durable de notre société. On nous parle de mesures d’esthétisme, alors qu’il s’agit d’enjeux vitaux comme le réchauffement climatique», explique Yves Christen.
«Toutes ces tracasseries administratives sont aberrantes, s’exclame Jean-Christophe Hadorn, consultant en énergie solaire et professeur à l’EPFL. Les arguments de ceux qui restreignent les installations solaires sont totalement subjectifs. Pourquoi considérer les panneaux solaires comme plus vilains que des autoroutes ou des lignes à haute tension? D’autant qu’il existe actuellement des solutions architecturales pour intégrer les panneaux de manière harmonieuse dans un toit.»
Du côté des communes du Lavaux concernées, on se rétracte derrière le statut de site protégé classé au patrimoine mondial de l’Unesco, qui implique une mise à l’enquête obligatoire pour toute rénovation ou modification architecturale. Dans ces cas-là, c’est effectivement la section «Monuments et sites du canton» qui statue sur chaque projet.
Résultat : il arrive que les propriétaires de bâtiments classés ou situés dans un site protégé n’obtiennent pas l’autorisation d’améliorer le bilan énergétique de leur maison. «L’installation d’un double vitrage peut par exemple être envisageable pour certains objets et pas pour d’autres. Nous mettons différents intérêts dans la balance et évaluons chaque situation. Notre idée n’est pas de figer le patrimoine, mais d’être particulièrement vigilants pour toute intervention sur les bâtiments protégés», explique Michèle Antipas, architecte à la section «Monuments et sites».
En ce qui concerne le solaire également, le préavis cantonal est obligatoire pour les sites protégés — alors que les autres zones bénéficient depuis février 2008 d’une dispense d’enquête pour toute installation solaire de moins de 8m2.
Pour mieux prendre en compte les enjeux environnementaux, le Conseil d’Etat a décidé l’année dernière d’assouplir les procédures en créant la «Commission cantonale sur les sites protégés et l’énergie solaires», composée de responsables municipaux, d’urbanistes, d’architectes, d’ingénieurs et de spécialistes en énergies renouvelables. Son objectif: trouver des solutions au cas par cas en intégrant les différents points de vue.
«L’idée est d’établir une médiation entre les différents intérêts, explique Michèle Antipas, également membre de cette Commission. Un non radical à toute pose de panneaux solaires dans des zones protégées serait absurde, car dans de nombreuses situations, les installations ne sont pas visibles ou ne portent pas atteinte au patrimoine».
En fonction depuis un an, le nouvel organe a traité 65 cas dans tout le canton, dont 29 ont été acceptés tels quels. Dans 29 autres cas, des modifications ont été exigées: l’intégration architecturale des panneaux pouvait être facilement améliorée en adaptant leur inclinaison, voire en modifiant leur emplacement ou leur couleur. Un refus catégorique a concerné sept cas, soit en raison d’implantation prévue dans un site intouchable, soit en raison de la disproportion de l’ouvrage.
«Nous avons notamment refusé le cas d’un agriculteur qui voulait installer 8’000 m2 de panneaux photovoltaïques dans son champ, ce qui était totalement disproportionné. En effet, avec la nouvelle loi sur la rétribution du courant électrique, certains propriétaires aimeraient recouvrir un maximum de surface de cellules photovoltaïques sans que cela soit en lien avec leur propre consommation, poursuit Michèle Antipas. Or nous n’envisageons pas que des zones protégées ou des bâtiments classés ne deviennent des centrales de production électrique. Ou du moins pas avant que toutes les surfaces disponibles de notre pays ne soient exploitées. Ce qui est d’ailleurs encore loin d’être le cas…»
Selon les professionnels de l’énergie solaire, la Suisse peut encore beaucoup mieux faire afin d’optimiser son potentiel solaire. Si personne ne conteste l’utilité des mesures de protection («On ne peut pas faire n’importe quoi n’importe où »), les procédures administratives sont généralement jugées trop lourdes, au point de décourager les propriétaires soucieux de l’environnement. Et les autorités peinent à mettre en place des mesures incitatives efficaces.
«La nouvelle loi permettant la rétribution de toute personne qui injecte de l’électricité écologique dans le réseau constitue certes un petit pas en avant, mais son exécution est trop lente et ses conditions d’application très floues: actuellement, on ne sait toujours pas à quel guichet s’adresser pour toucher les rétributions», constate Jean-Christophe Hadorn. A titre de comparaison, l’Allemagne a voté une telle loi en 2001 déjà et compte dix fois plus de capteurs photovoltaïques par habitant que la Suisse.
«Les technologies solaires se sont industrialisées et présentent aujourd’hui un potentiel extraordinaire, s’enthousiasme Jean-Christophe Hadorn. Il serait dommage que les Suisses regardent passer le train sans y monter.»
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Ce que dit l’Unesco
Le fait qu’un site soit classé au patrimoine mondial de l’Unesco constitue, en plus d’une reconnaissance de forte portée symbolique, un outil précieux pour le protéger. Mais pas au point de figer les bâtiments.
En ce qui concerne le Lavaux, Madeleine Viviani, Secrétaire générale de la commission suisse de l’Unesco, explique que les législations existantes au niveau communal et cantonal sont déjà largement suffisantes pour protéger le site. Cela a été apprécié lors du processus d’acceptation du dossier par l’Unesco, durant lequel il n’a jamais été question d’ajouter un cadre légal supplémentaire. «Si le but d’un classement à l’Unesco est de ne pas porter d’atteinte grave au patrimoine, ce n’est pas non plus de faire du site un musée, car des gens y vivent et le bâti évolue au cours du temps».
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L’EPFL veut embellir les panneaux solaires
Les panneaux solaires actuels n’aident pas les architectes. «Ce sont des éléments purement fonctionnels dont l’esthétique n’est pas travaillée», explique Maria Cristina Munari Probst, chercheuse à la Faculté d’architecture de l’EPFL. L’un de ses objectifs consiste dès lors à améliorer la palette de couleurs disponibles tout en gardant un maximum de performance; suivant le type de couleur, on peut en effet perdre jusqu’à 10% d’énergie.
D’autres projets cherchent encore à diminuer le réfléchissement des panneaux, à développer leur flexibilité ainsi qu’à produire des pièces sur mesure. Car les capteurs actuels possèdent une dimension standard rigide difficile à intégrer dans une toiture. «Notre travail sert à procurer davantage de flexibilité aux architectes, afin qu’ils puissent moduler les panneaux et décider eux-mêmes des compromis énergétiques qu’ils sont prêts à faire pour améliorer l’harmonie d’un bâtiment», ajoute la chercheuse. A noter que ces panneaux d’un nouveau genre ne seront disponibles sur le marché que d’ici quelques années.
