Tiens, les sondages semblent pour l’heure favorables à l’initiative de l’UDC sur les naturalisations par les urnes.
Ils seraient donc dans ce pays 48% à approuver (contre 37% et 15% d’indécis) l’idée que le droit d’acquérir la nationalité suisse soit désormais jugé, du moins dans les communes qui le souhaitent, par le peuple tout puissant, plus souverain que jamais.
Si le peuple, comme cela se passait régulièrement à Emmen, a une curieuse tendance à écarter d’entrée comme indignes du passeport rouge à croix blanche tous les patronymes se terminant en «ic», qu’importe puisque tel est son bon plaisir.
Qui, en effet, investi de quelle autorité supérieure, serait assez outrecuidant pour priver le souverain du droit sacré de ne pas aimer les rimes en «ic»? Ou le café au lait ni le chocolat noir, qui font peur rien qu’à les regarder. Ou ceux qui, pour prier, quelle horreur, font rien qu’à montrer leur derrière et veulent leur place à eux, rien qu’eux, au cimetière. Hop, un bulletin dans l’urne et on n’en parle plus.
Bien sûr, le conseiller national UDC Oskar Freysinger ne voit pas, lui, «en quoi le citoyen serait plus irrationnel, émotionnel, raciste et xénophobe qu’un fonctionnaire». Sauf que le fonctionnaire est payé pour son impartialité et des compétences particulières.
De même, la cheffe du Service valaisan des étrangers Françoise Gianadda, non affiliée UDC mais sympathisante avérée et chouchou de Blocher, estime que c’est faire «injure au peuple de le soupçonner» de pratiquer le délit de sale gueule.
On pourrait rappeler à l’UDC que, par exemple, le peuple chinois, dont, on a aucune raison de penser qu’il soit foncièrement plus stupide que l’helvète, estime dans son écrasante majorité le Tibet à jamais chinois et trouve parfaitement justifié et honorable l’occupation de Lhassa par les forces de Pékin, et bien méritées les mises au pas qui s’en suivent.
Autrement dit, nous voilà avec cette histoire de naturalisations démocratiques, devant ce que l’avocat Marc Spescha appelle «une conception totalitaire de la démocratie, selon laquelle la majorité aurait le droit de faire tout ce qui lui plait.»
On pourra aussi sur ce thème écouter avec profit la pythie des Grisons Eveline Widmer-Schlumpf, qui renvoie ses petits camarades de l’UDC dans les cordes du droit: «Les décisions de naturalisation ne doivent être ni arbitraires, ni discriminatoires et elles doivent être motivées». C’est la Constitution qui le dit. Et de une.
Quant au souhait des initiants de supprimer toute possibilité de recours face à une décision négative, la même Eveline s’assoit tranquillement dessus: «Une décision arbitraire ou discriminatoire doit pouvoir être contestée», c’est la Constitution là encore qui le dit, mais épaulée cette fois par le droit international. Et de deux.
Enfin, face à l’idée d’une naturalisation à l’essai, Madame la Conseillère fédérale, déchaînée, dégaine l’arme fatale du bon sens: «Que ferait-on par exemple avec une femme qui accouche en période d’essai? Son enfant serait-il suisse à l’essai?» Et de trois.
L’inénarrable Jacques Neyrinck a créé, lui, pour l’occasion, un néologisme rigolo: l’acratie, ou absence de pouvoir. De pouvoir, légitime, représentatif et civilisé s’entend. Acratie, lorsqu’on enlève aux instances élues et administratives la décision de naturaliser pour la laisser au bon vouloir du peuple.
Acratie encore, lorsque l’on veut interdire au Conseil fédéral la possibilité de prendre position lors des scrutins populaires. Acratie enfin lorsque l’on retire aux cantons le financement des hôpitaux pour le confier aux caisses maladies.
Dans les trois cas, assure Neyrinck, «les exécutifs élus et les corps constitués sont dépouillés de leurs attributions, dissoutes au bénéfice des marchés concurrentiels et des votes populaires». Autrement dit, réduites à la loi du plus fort, à l’arbitraire du grand nombre, à la loi sans loi de la jungle.
Curieusement, sur ces trois questions, nous voterons le 1er juin prochain, à une semaine donc du coup d’envoi d’un Eurofoot qui promet un déluge patriotique sans précédent, accompagné d’une marée de drapeaux rouges à croix blanche, sans plus personne pour se demander si devenir suisse est une question politique, comme le croit l’UDC, ou administrative, comme le pense le reste du monde.