GLOCAL

Quand 4 x 4 = 0

Face à l’initiative verte visant à interdire les véhicules les plus polluants, les propriétaires célèbres de grosses cylindrées, politiciens en tête, étalent sans vergogne l’ampleur de leur incivisme.

Après le granguignolesque feuilleton Nef et la joyeuse pantalonnade lybienne, voici déjà, la mi-été à peine atteinte, que les affaires sérieuses reprennent. Avec du lourd, du très lourd même: le blues des conducteurs de 4X4, qui fait bien peine à voir.

La faute à l’initiative des Verts, déposée la semaine dernière et intitulée «Pour des voitures plus respectueuses de l’homme» et visant à interdire les grosses cylindrées les plus polluantes. Insupportable évidemment pour tous ces braves gens — 663‘000 4X4 immatriculés en Suisse quand même — dont le principal plaisir semble consister dans la vie à pouvoir pétarader haut et fort.

Alors pas d’hésitation: devant l’ampleur du péril, convoquons presto les principes les plus sacrés. Invoquons la constitution et plus précisément son article 10: «Tout être humain a droit à la liberté personnelle, à l’intégrité physique et psychique et à la liberté de mouvement». Juste pour revendiquer le droit de plastronner dans un véhicule surdimensionné et nuisible.

C’est ramener la liberté et spécialement la liberté de mouvement, mise à mal essentiellement par les régimes dictatoriaux les plus féroces, à pas grand chose — un caprice, une sale habitude.

C’est aussi salir un texte — la Constitution — qui n’a précisément pas pour but de défendre les petits goûts personnels mais au contraire de fixer le cadre général du vivre ensemble. La démocratie et la liberté se relèveront sans dommage d’une liste d’une soixantaine de véhicules prohibés.

Curieusement, la voiture semble jouir d’une extraordinaire mansuétude dans un climat global pourtant d’appels à la santé et à la sécurité obligatoire. Sport élevé au rang de vertu cardinale, fumée diabolisée, alimentation diététisée jusqu’à la nausée, avec les réglementaires 5 fruits ou légumes quotidiens, transport aérien soumis à des taxes compensatoires pour cause de réchauffement, etc.

Mais après avoir avalé son jus de carotte et trottiné son footing, on s’empresse — pour tout, pour rien, le travail, les loisirs les vacances, les courses — d’utiliser le moyen de transport le plus meurtrier et le plus polluant du monde, ne serait-ce que par son omniprésence: la voiture au niveau mondial cause un million de morts par année, un chiffre proprement génocidaire, et empoisonne massivement, jour après jour, partout, l’air que nous respirons.

Mais qui ose encore soutenir, comme dans les années 60, que la voiture et Hitler ont été les deux fléaux majeurs du XXe siècle? Un Hitler d’ailleurs grand bâtisseur d’autoroutes et commanditaire de Volkswagen. Ou comme le philosophe Bernard Charbonneau en 1966, dans son ouvrage heureusement réédité depuis, «L’Hommauto», «Paris n’est plus, ce n’est pas Hitler mais Citroën qui l’a détruit».

Il suffit d’ailleurs de lire dans «Le Matin» les états d’âme et d’esprit de quelques fameux propriétaires de 4X4 sur les éventuelles excuses et remords qui les tenailleraient de rouler incivique.

Le conseiller national UDC Jean-François Rime y va franco: «Je m’en fous complètement, j’aime les voitures confortables, je ne vais pas me gêner.» On y trouve aussi la justification très faux-cul de Christophe Darbellay, obligé de posséder un 4X4 pour «pour aller à la chasse». Un sport qu’il pratique effectivement, à tout casser un jour par année et pour des motifs strictement médiatiques: un reportage mi bucolique mi sanglant dans la presse people.

Pourquoi en effet se gêneraient-ils, les propriétaires de 4X4? La gêne n’est plus ni une habitude ni un choix de comportement très en vogue. La tendance serait plutôt au sans-gêne. Pourtant les notables roulant 4X4 sont en général les mêmes qui s’étouffent d’indignation — au hasard Charles Poncet — face aux autres formes contemporaines de sans-gêne.

A monter sur leurs grands chevaux face à des squatters qui ne se gênent pas pour occuper des locaux genevois laissés vacants. Ou les tagueurs qui ne se gênent pas pour faire profiter la population entière de leurs salissants talents. Eux aussi se réclament de la sacro-sainte liberté personnelle.

Poncet et compagnie invoquent alors, contre cette liberté capricieuse, la vieille notion de respect: respect de la propriété, respect de l’espace public. On ne peut que leur donner raison et attendre d’eux un tourné sur route spectaculaire: qu’ils se mettent à militer logiquement pour des voitures respectueuses.