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Poésie du Gripen et du botellon

Depuis les saouleries collectives jusqu’à l’achat d’un nouvel avion de combat, l’actualité déterre parfois des concepts aussi éphémères qu’exotiques.

«Gripen» et «botellon»: l’actualité a parfois de ces poésies, de ces vocables rafraîchissants qui viennent pimenter la banalité ordinaire des gros titres. Cette semaine donc, «botellon» et «Gripen», le Nord et le Sud, la terre et le ciel, s’envoyer en l’air et se vautrer dans le gazon.

Gripen, d’abord. Premier des trois avions, avant le Rafale français et l’européen Eurofighter, à subir les tests d’Armasuisse (le centre de compétences de la Confédération pour l’acquisition du matériel technologique), le Gripen suédois est donné favori pour remplacer les poussifs Tigers, incapables de voler la nuit. Impensable lorsqu’il s’agit d’épauler — c’est l’affirmation officielle — les trente-trois F/A-18, en pleine forme, eux.

Ce qu’il y a de passionnant dans l’acquisition d’un nouvel avion de combat, c’est qu’un pur acte de foi nous est demandé pour avaler, ou au contraire rejeter, une addition des plus colossales, en l’occurrence 2 milliards. On est en effet priés de croire, ou de ne pas croire, les nouveaux appareils indispensables.

Indispensables à quoi? Même ça, ce n’est pas très clair. D’abord parce que les évaluations, c’est-à-dire ce sur quoi les jets seront jugés, demeurent classées secret défense.

Ensuite parce que le rôle exact du nouvel appareil au sein de l’armée suisse n’a pas été encore clairement défini. Enfin parce qu’Armasuisse a été chargée d’obtenir le maximum d’appareils en échange des fameux deux milliards.

Preuve que l’on n’en est pas à un avion près, qu’on ignore à partir de combien de coucous la sécurité du pays est assurée. Que donc ces évaluations tiennent davantage de la simple gourmandise que de l’analyse stratégique. Comme un petit garçon exigeant de la kiosquière le maximum de friandises contre les piécettes nichées au creux de sa main.

Pour diverses raisons techniques, le Gripen, on l’a dit, tient la corde. Mais voilà, lorsqu’il s’agira de payer l’addition, les missiles politiques risquent de se focaliser sur Samuel Schmid, le patron déstabilisé du département de la défense.

Un chef en carence d’image et de crédibilité et en proie à la soif de vengeance de ses anciens coreligionnaires UDC. Avec le risque d’une alliance anti-aérienne inédite, rassemblant rouges, verts et bruns. Et une initiative du GSsA qui a le vent en poupe, pour un moratoire de dix ans sur toute nouvelle acquisition d’avions de combat.

Bref, «Gripen» pourrait rester en Suisse un mot aussi éphémère qu’exotique.

Il n’est pas sûr que «botellon» soit promis à un avenir plus radieux. Terme hispanique pour désigner ces rassemblements quasi spontanés, lancés via internet, et consistant en gros, dans un parc public, à s’imbiber le plus sévèrement possible en compagnie du plus grand nombre de compères et commères possibles.

Le premier botellon sur territoire suisse, au parc genevois des Bastions, a laissé un souvenir mitigé sous la forme d’une montagne d’immondices. De quoi arracher au conseiller administratif Maudet des lamentations apocalyptiques, évoquant «une porcherie avec des kilos de tessons de verre dans la pelouse et des hectolitres d’urine dans les bosquets».

Le même jour, les médias relataient les dernières mesures municipales de l’Italie berlusconienne — interdiction des rassemblements nocturnes de plus de deux personnes, interdiction de consommer de l’alcool ou des sandwiches sur la voie publique, interdiction même de bâtir des châteaux de sable. Le bon Massimo Lorenzi, binational, dénonçait aussitôt une Italie en pleine décadence.

Sauf que ce matin-là les vraies images de décadence étaient bien les clichés pris aux Bastions au lendemain du botellon.

Flicage obsessionnel d’un côté, minable aspiration, de l’autre, à une liberté de pacotille. Avec des initiants, comme à Lausanne, refusant par exemple d’assumer leurs plus élémentaires responsabilités d’organisateurs.

On admettra certes qu’un botellon encadré, officiel, policé, cela s’appelle plutôt une Oktober Fest, une Foire du Valais, un Comptoir de Lausanne. Mais ressentir le puéril, le sinistre besoin d’avoir autour de soi des milliers d’inconnus, comme à Nuremberg aux flambeaux ou lors d’un défilé sur la place Rouge, pour goûter aux joies incontestables de la biture, cela justifie-t-il de saloper l’espace public? Ni Berlusconi, ni botellon, tranchera l’honnête homme.

À propos de décadence, notons enfin que le nouveau Monsieur Prix, Stephan Meierhans, est à la fois un lobbyiste de Microsoft et un proche de la ministre de l’économie, Doris Leuthard.

Là, les mots ne sont ni spécialement nouveaux, ni particulièrement exotiques: copinage et conflit d’intérêt.