- Largeur.com - https://largeur.com -

Le trampoline ou l’art de rebondir

Vu du ciel, le phénomène évoque une épidémie qui se manifeste par l’apparition de pustules bleues ou noires, au diamètre variable, localisées dans les jardins des villas. Parti il y a quelques années déjà de Scandinavie, il a contaminé la Suisse cet été. Des milliers de parents, répondant aux implorations de leurs enfants, ont acheté le cadeau tendance par excellence: un trampoline.

«Cette année, nous avons connu une progression de 30% de nos ventes», se réjouit le directeur de Noco Sports, un des principaux points de vente de trampolines en Suisse. Markus Diethelm rappelle que le trampoline avait déjà débarqué il y a une cinquantaine d’années en Allemagne et en Suisse. La survenue de quelques accidents particulièrement graves et très médiatisés à l’époque avait mis un terme subit à son essor. «Il a fallu du temps pour oublier.»

«Nos ventes ne mettent pas en évidence une barrière des roesti, mais une frontière entre le nord et le sud de la Suisse», remarque le directeur. «Nous n’avons vendu aucun trampoline au Tessin, d’ailleurs les Italiens non plus ne sont pas preneurs, ils ont certainement d’autres moyens de s’éclater.»

Etonnant quand on sait que «trampoline» est entré dans les dictionnaires français en 1961 et que son origine est précisément italienne, «trampolino». Il s’agit d’un engin de gymnastique composé d’une toile tendue à une certaine hauteur du sol et fixée par des ressorts à un cadre métallique sur lequel on effectue des sauts. Sa seconde acception est le sport ainsi pratiqué.

L’Américain Larry Griswold, dans un ouvrage intitulé «Trampoline tumbling», en attribue la paternité à deux trapézistes italiens se faisant appeler Due Trampoline et qui auraient eu l’idée d’utiliser l’élasticité du filet de protection pour terminer leur exhibition par des sauts acrobatiques.

En 1926, George Nissen, professeur d’Éducation physique américain, s’inspire de ce principe et met au point un appareil, l’ancêtre de celui que nous connaissons aujourd’hui. La même année, avec Griswold, ils créent les bases de «la gymnastique au trampoline». Le tandem Nissen-Griswold s’attache alors à l’amélioration du matériel, et à la conception même de cette nouvelle discipline sportive.

Le trampoline, durant la deuxième Guerre mondiale, deviendra un instrument d’entraînement pour les pilotes de l’armée américaine. Puis, les astronautes américaines et soviétiques l’utiliseront pour tester leur perception de la position corps dans l’espace.

Les premiers championnats du monde sont organisés en 1964 à Londres. La Fédération Internationale est créée en Angleterre en 1965 et cesse d’exister en 1998. Depuis, le trampoline est géré par la Fédération internationale de gymnastique (FIG) et devient discipline olympique dès les Jeux de Sydney en 2000.

Comment expliquer l’engouement acuel pour cette activité? A la tête de l’entreprise Ludik, à Cernier, Eric Roesti annonce également une forte progression de ses ventes en 2008. L’explication tient, selon lui, à une chute très importante des prix.

«Il y a une dizaine d’années, un trampoline en provenance des Etats-Unis ou d’Australie coûtait quelques milliers de francs. Il fallait d’ailleurs voir les villas dans lesquelles on les installait! Aujourd’hui, 90% proviennent d’Asie et coûtent quelques centaines de francs seulement». Il compare le succès actuel avec celui des piscines gonflables qui, elles aussi, avaient bénéficié il y a quelques années de l’ouverture d’un marché bas de gamme.

Et si s’ajoutait aux explications des spécialistes de la vente une explication sociologique? Aujourd’hui, la société n’attend-elle pas de chacun qu’il rebondisse? Après un divorce, un licenciement, l’arrivée à la retraite ou une défaite olympique, il faut immédiatement rebondir. L’acquisition d’un appareil permet peut-être de s’y entraîner…

Les accidents viendront-ils à nouveau briser le boom du trampoline? Ils ne sont pas encore comptabilisés mais le Bureau de prévention des accidents (BPA) a émis des mises-en-garde. Au Canada où l’activité est déjà populaire depuis longtemps, c’est la Société canadienne de pédiatrie qui estime que l’on ne devrait pas utiliser le trampoline à titre récréatif.

«Cet appareil n’a pas sa place dans la cour d’une maison. Les risques sont trop élevés comparativement aux bénéfices que l’on retire de cet exercice physique», lit-on dans sa prise de position. Dérive sécuritaire ou prudence justifiée?