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Projets d’autoroutes en Suisse romande

Et ça klaxonne, et ça vitupère, et ça s’énerve. Tous les jours ou presque, aux heures de pointe, c’est la même rengaine autour de Lausanne et Genève: on passe la première, on accélère, on freine et on s’arrête. Le ruban d’asphalte reliant les deux villes frôle l’asphyxie. Construit en 1964 pour un trafic modeste (15 000 passages journaliers), il doit désormais engloutir un flux qui atteint, à certains endroits, 98 000 véhicules par jour. Résultat: les bouchons sont récurrents — environ quatre cents heures en 2006, selon les calculs de l’Office fédéral des routes (Ofrou).

Et l’avenir ne s’annonce pas plus fluide. «Le développement économique formidable de la région et l’accroissement démographique vont induire une explosion du trafic», anticipe Patrick Eperon, du Centre patronal. Les prévisions, notamment fédérales, lui donnent raison: sur l’A1, l’Ofrou attend entre 20 et 40% de véhicules en plus d’ici à 2030. A Genève, l’accroissement du nombre de passagers à l’aéroport de Cointrin (+10% prévus entre 2007 et 2008), l’ouverture d’Ikea à Vernier et la mise en service, en décembre 2008, du dernier maillon de l’A41 (19 000 véhicules attendus), vont surcharger encore davantage le périphérique.

Les milieux patronaux estiment que le chemin de fer ne suffira pas. Ils soutiennent – bien évidemment – la 3e voie sur l’axe Lausanne-Genève, mais pas seulement. «L’élargissement de l’autoroute est une nécessité, dit Xavier Comtesse, directeur romand du think tank Avenir Suisse. Mais, si l’on regarde à vingt-cinq ans, il faudra davantage pour résoudre les problèmes aux abords des agglomérations.» Les milieux économiques, au sens large, proposent donc d’étudier trois autres projets d’envergure en plus de la 3e voie: la traversée de la rade à Genève, une voie rapide au sud du Léman et une nouvelle autoroute Genève-Yverdon-les-Bains. «Tous ces projets sont complémentaires, assure Xavier Comtesse. Il faut y réfléchir maintenant, car le temps pour les construire sera extrêmement long.»

01 – Une 3e voie sur l’A1

Quatorze mille cinq cents signatures: deux mois après avoir lancé la pétition «Oui à la sécurité routière, oui à la 3e voie autoroutière entre Lausanne et Genève», les milieux économiques parlent d’un «formidable succès» populaire. Assez pour faire plier Berne, où sera déposé le précieux document le 24 septembre prochain? Dans une interview accordée au quotidien 24 heures, Moritz Leuenberger, le ministre des Transports, a récemment laissé entendre que l’élargissement pourrait faire partie des priorités et bénéficier ainsi d’une partie du fonds de 5,5 milliards de francs prévus pour supprimer les goulets d’étranglement d’ici à 2024.

«Des études sont en cours pour déterminer quels tronçons seront prioritaires, explique Frédéric Revaz, le porteparole de l’Ofrou. Nous rendrons nos conclusions au début de 2009.» Si l’axe Lausanne-Genève est sélectionné, le Parlement se prononcera en 2010. Suivront plusieurs années d’études et de planification: «Au mieux, la 3e voie autoroutière Saint-Prex-Genève sera alors réalisée en 2020», espère Patrick Eperon. L’axe ne devrait pas être élargi sur la totalité du trajet, mais seulement sur ses parties les plus surchargées. En attendant, un système de télégestion sera mis en place sur le tronçon Lausanne-Morges, à la fin de 2009, pour un montant de 35 millions de francs. «Il permettra d’adapter les limitations de vitesse en fonction du trafic et d’ouvrir les bandes d’arrêt d’urgence en cas d’affluence massive», se réjouit François Marthaler, conseiller d’Etat Vert.

Les pétitionnaires demandent également la construction d’un contournement partiellement souterrain de Morges. Sur ce point, le Département des infrastructures vaudois a déjà fait une demande à la Confédération. Seul hic, le coût qui devrait friser le milliard et demi de francs.

02 – Voie rapide du sud du Léman

«Côté français du Léman, la situation est assez misérable, lâche Marc Francina, le maire d’Evian-les-Bains. Nous avons pris quarante ans de retard en matière d’infrastructures.» Le contournement routier de Thonon-les-Bains vient d’être mis en service le 1er juillet. Sur 8 kilomètres, deux fois deux voies permettent de mieux circuler. Un début. Un projet de prolongation de cet axe jusqu’à Douvaine, puis jusqu’à Annemasse, pourrait voir le jour dans les prochaines années. «Une demande dans ce sens a été déposée à Paris», révèle Marc Francina. Reste l’épineux problème du financement: 190 millions d’euros pour la simple liaison Douvaine-Thonon… Pour le tronçon Thonon-Valais, il faudra encore attendre. «Nous espérons prolonger le contournement de Thonon, par un autre autour d’Evian, via Publier, poursuit le maire. Cet axe pourrait être prolongé jusqu’à l’A9 et au Valais, en traversant les bois situés au sud d’Evian. Mais c’est un projet à très, très long terme.» Un projet que ne remet pas en cause François Marthaler, même si, pour le député Vert, «il serait beaucoup plus utile de réhabiliter le chemin de fer du Tonkin».

03 – La traversée du lac

Douze ans après le vote négatif du peuple, le projet de traversée de la rade à Genève ressort de l’eau. Le 25 janvier dernier, le Grand Conseil a débloqué environ 3,5 millions de francs pour étudier un avant-projet répondant à l’explosion de la mobilité genevoise, qui devrait progresser de 40% d’ici à 2020. Mais attention, on ne parle plus de «traversée de la rade», mais de «traversée du lac». « Selon les études, la traversée urbaine initialement prévue ne sera plus adéquate à l’horizon de 2030-2040. Nous pensons donc réaliser l’ouvrage plus adapté, un peu plus loin de la ville», explique le conseiller d’Etat genevois Robert Cramer. Exit donc le projet de tunnel entre le Port-Noir et la Perle du lac. «Il s’agira vraisemblablement d’un pont, dont le point d’ancrage sur la rive droite est prévu au niveau de l’échangeur du Vengeron, poursuit Robert Cramer. Rive gauche, en revanche, des études seront nécessaires pour trouver le meilleur endroit.» Avantage de l’ouvrage: il permettrait de désengorger le pont du Mont-Blanc, sur lequel une place pour les trams pourrait être dégagée. Estimé par certains élus à 3 milliards de francs, son coût sera pris en charge par la Confédération s’il s’agit d’une autoroute. Reste à la convaincre…

04 – Autoroute Genève–Orbe

Moins médiatique, ce quatrième projet se veut le plus audacieux, voire «visionnaire». «Il faut se projeter trente ans en avant, pour prévoir aujourd’hui les problèmes qui vont se poser en 2040, résume Xavier Comtesse. Toutes les métropoles, comme Paris ou Lyon, disposent déjà d’un périphérique autour duquel elles ont construit un deuxième cercle autoroutier. A Genève, nous n’avons même pas bouclé le premier — il manque la traversée de la rade — mais il faut déjà penser à un deuxième pour éliminer le trafic de transit.» Pour le réaliser, le directeur romand d’Avenir Suisse pense à une nouvelle autoroute qui relierait Bellegarde à Orbe. «Cette autoroute «pied du Jura» permettrait de délester le périphérique genevois et l’A1 de tout le trafic touristique et de transit, circulant vers Yverdonles-Bains, Neuchâtel, Bâle et Zurich.»

L’idée n’est pas nouvelle. En 2006, le conseiller national UDC Jean Fattebert avait déposé un postulat pour une autoroute Yverdon-Genève. La réponse du Conseil national ne s’était pas fait attendre: «L’hypothèse selon laquelle l’engorgement de l’A1 serait dû en premier lieu au trafic venant d’au-delà d’Yverdon-les-Bains est erronée», soulignait la réponse de la Confédération; selon ses chiffres, un tel axe déchargerait l’autoroute Lausanne-Genève de seulement 6000 à 10 000 véhicules par jour ouvrables et son trafic total ne dépasserait pas 10 000 voitures par jour. Pas assez, au vu du coût pour se lancer dans ces grands travaux. Une réponse qui n’étonne pas Jean Fattebert: «Je m’attendais à une telle réaction. Mais, dans vingt ans, on verra que j’avais raison. Le Conseil national n’est pas visionnaire.»

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Quatre projets, du plus vraisemblable au plus utopique

01 ÉLARGISSEMENT DE L’A1
«En plus de fluidifier le trafic, l’élargissement de 01 l’A1 aurait un impact positif sur la sécurité routière. Sur le périphérique lausannois, l’aménagement d’une 3e voie a ainsi divisé le nombre d’accidents par trois», rappelle Patrick Eperon, du Centre patronal. Coût estimé: 1,5 milliard de francs pour un élargissement total. Réalisation : en 2020 au plus tôt.

02 VOIE RAPIDE DU SUD DU LÉMAN
«Je ne sais pas si j’encouragerais nos voisins français à faire ce choix au XXIe siècle. Il me paraît plus important de redynamiser les voies ferroviaires, notamment celle du Tonkin», estime le conseiller d’Etat Vert François Marthaler. Coût estimé: 190 millions d’euros pour le tronçon Thonon-Douvaine.

03 LA TRAVERSÉE DU LAC
«Pour le moment, aucun projet concret n’a été déposé, rappelle Frédéric Revaz, le porte-parole de l’Ofrou. Or, pour que de tels travaux soient financés par la Confédération, il faudra que le Parlement se prononce.» Coût estimé: 3 milliards de francs. Réalisation: à l’horizon de 2040.

04 L’AUTOROUTE YVERDON-GENÈVE
«Intellectuellement, je pense qu’il s’agit d’une bonne idée, dit Patrick Eperon. Mais, il me paraît fort improbable que cela se fasse en Suisse, car le Conseil fédéral y est opposé. Est-ce possible de faire passer cet axe de l’autre côté de la frontière? Je ne sais pas. Nous ne pouvons pas exporter tous nos problèmes!»

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 18 septembre 2008.