La nature est fatiguée, les hommes aussi. Les radicaux suisses, eux, pètent la forme. On les voit donc monter majoritairement au front, sa majesté Couchepin en tête, pour fusiller l’initiative syndicale de l’USS proposant une retraite à 62 ans.
Accompagnés certes dans leurs lamentos effarés par les cousins UDC et PDC, les radicaux restent néanmoins les plus virulents à entrevoir déjà cette mère de toutes les catastrophes, auprès de laquelle une crise financière mondiale ferait presque figure d’incident mineur: le pays ruiné, mis à genoux, en lambeaux, plongé dans la plus grande dépression de son histoire, et tout ça par qui? L’AVS!
Plus forts que les nains fous de l’UBS, nos rentiers. Plus prédateurs, plus impitoyables encore et sans scrupules que tous les cow-boys réunis de Wall Street et de la Banhofstrasse. Le conseiller national radical Jean-René Germanier s’alarme ainsi d’un chiffre: 1,5 milliard, le coût annuel présumé de la mesure qui pèserait lourd, via l’impôt et les taxes, «sur la compétitivité de nos entreprises au pire moment, alors que notre économie ralentit».
Les initiants, eux, parlent plutôt de 700 millions, mais peu importe: ces chiffres apparaissent bien dérisoires, avec même un côté furieusement «peanuts», si on les compare aux montants perdus en quelques jours par la bourse et l’économie dite virtuelle.
On remarquera aussi que, malgré les cris d’angoisse des radicaux depuis 15 ans, l’AVS n’est toujours pas en déficit. Et que pour dégager 1,5 milliard, on n’est pas obligé tout de suite de penser à des impôts nouveaux. Pourquoi — vrai principe radical et libéral — ne pas imaginer plutôt une répartition différente de l’impôt existant? Il doit sûrement exister quelques niches moins prioritaires que l’AVS et pourtant dûment arrosées.
Mais voilà, c’est une des principales qualités des radicaux, qui fait leur fierté et celle des électeurs: leur optimisme de midinette, leur croyance quasi-scoute que l’homme serait une bête responsable et libre, fière et heureuse de trimer jusqu’au dernier souffle quand le devoir et l’honneur l’exigent.
Notons à ce propos que le Conseil fédéral a écarté l’idée de s’aligner sur une pratique en vigueur dans plusieurs pays voisins: ne pas tenir compte de l’âge pour établir les départs à la retraite, mais des années réellement passées au travail. Ce qui a l’avantage de l’équité et permet à ceux qui ont commencé de boulonner plus tôt de partir plus vite. D’autant plus équitable que c’est dans cette catégorie qu’on retrouve la plupart des professions considérées comme pénibles. Mais vue de l’administration fédérale, la pénibilité du travail doit sans doute rester une notion bien abstraite.
La naïveté radicale ne s’arrête pas là, qui considère également l’homme comme une créature tellement soucieuse du bien commun, qu’on peut lui faire une confiance absolue même en matière environnementale.
Ce sont donc encore les radicaux, par l’intermédiaire de leur mouvement jeunesse, qui lancent l’initiative contre le droit de recours des associations écologistes. Pourquoi en effet tous ces règlements fastidieux, cet acharnement judiciaire et procédurier, ces contraintes tatillonnes et liberticides, alors que l’homme radical, comme chacun sait, porte les dogmes du développement durable et le souci de la planète dans le sang et les gènes.
Évidemment, il y a cette statistique un peu embêtante: 76 % des recours écologistes l’emportent devant les tribunaux ou après négociations. Il n’existe que deux explications: ou nos juges sont vendus à l’intégrisme vert — mais il semble que cela se saurait — ou alors, horribile dictu, cette créature responsable, respectueuse de la nature par nature, cette bête de somme inépuisable, bref l’homme radical, n’existe pas.