«Des psychologues sont sur place…» L’art de consoler du 21ème siècle s’appelle «débriefing» et consiste à faire parler les victimes. Une nouvelle étude revalorise plutôt le silence.
La bourse s’effondre, à la City, les psys sont pris d’assaut. «Pourquoi moi? Que va-t-il m’arriver?», tel est le leitmotiv de ceux qui ont été licenciés brutalement et tiennent à immédiatement confier leur inquiétude à un psy.
A Zurich aussi, la panique provoque une énorme demande de soutien psychologique. Josef Hättenschwiler et Jiri Modestin, deux psychiatres installés sur les bords de la Limmat en témoignent. Rien de tel lors de la crise de 1929.
Face au drame, les consolations de Sénèque, Plutarque ou Montaigne, incitaient à faire preuve d’une forme de sérénité, de stoïcisme même. Avec le christianisme, la souffrance devenait une sorte d’offense à la Volonté divine. Vivre le malheur ne fortifie-t-il pas la vertu?
Pour remédier aux accidents plus ou moins prévisibles de la vie, se fondre dans la généralité de la condition humaine pour refouler ses douleurs particulières, a longtemps été la recette proposée dans la culture occidentale.
Il y a un demi siècle, en 1959, lors de la rupture du barrage de Fréjus, la priorité allait aux couvertures et aux boîtes de lait condensé. Personne n’aurait alors imaginé envoyer une équipe de psychologues et sans doute qu’eux-mêmes auraient trouvé saugrenu qu’on les appelât.
Désenchantement du monde, athéisme et individualisme sont venus changer la donne. Aujourd’hui, quand les pouvoirs publics envoient des psychologues, c’est accompagné du message implicite: «Vous subodorez que vous êtes victime, on va vous le démontrer. Avec les mots que la science garantit vous pourrez vous reconstruire, vous consolider, car vous êtes en ruine.»
La nouvelle recette porte un nom: le «débriefing» ou, en français, la verbalisation. Dans «Des psychologues sont sur place… Où nous mène la rhétorique des catastrophes?» (Ed. Mille et une Nuits), Jacques Gaillard, en observateur attentif de notre société, relève que «tous les manuels préconisent de faire parler la victime, afin que son psychisme ne reste pas bloqué sur l’horreur des événements auxquels elle vient de réchapper. Ce «debriefing» a pour premier avantage de solliciter une activité fonctionnelle de l’esprit, et donc de «débloquer» alors que l’événement l’avait stupéfié».
L’effet traumatique serait minimisé à condition de parler à chaud. Il semble désormais acquis que parler, c’est se libérer. Les professionnels de l’écoute estiment aider ainsi à «faire le deuil». Les mots vont-ils parvenir à effacer les maux? Quelle est l’efficacité de cette démarche, à moyen et à long terme?
Une étude menée à l’Université de Buffalo par le psychologue Mark Seery apporte une réponse surprenante à ce questionnement. Les traumatisés du 11 septembre 2001 qui ont été «débriefés» sont, actuellement, psychologiquement moins «stables» que ceux qui ont été silencieux. Les chercheurs n’en préconisent pas pour autant la suppression pure et simple de la verbalisation mais l’assortissent de bien des précautions.
Le «débriefing» ne saurait être présenté comme un remède miracle, il importe de toujours garantir à la personne traumatisée le choix de parler ou de se taire. La rhétorique des catastrophes nous avait fait oublier le vieux proverbe qui veut que «la parole est d’argent mais le silence est d’or». Il n’est pas obsolète.
