Avec plus de 250’000 nuitées réalisées en Suisse l’an dernier, les formules d’hébergement chez l’habitant connaissent une croissance spectaculaire. Haut de gamme, l’offre touche de nouveaux types de clients.
«Dès le départ, nous avons visé une clientèle haut de gamme. Nous n’accueillons pas le pèlerin de Compostelle mais des cadres de multinationales, des producteurs de Paléo ou des hommes d’affaires venant assister à des congrès.» Isabelle Kaser, propriétaire de la Casa Isabella à Dully (VD), résume une tendance forte: le Bed and Breakfast n’a plus grand chose à voir avec la chambre vieillotte louée à des étudiants de passage.
Spa, connexions Wifi, terrasse privée et emplacements de rêve, certains établissements n’ont rien à envier aux plus grands hôtels, et séduisent logiquement une clientèle haut de gamme: hommes et femmes d’affaires en voyage ou cadres expatriés en attente de logement. «J’ai choisi cette formule sur recommandation d’un ami, raconte Johannes Förster, consultant allemand qui séjourne régulièrement en Suisse pour son travail. La maison dans laquelle je logeais était située en pleine campagne, près de Nyon, dans un cadre magnifique. Depuis que j’ai découvert ça, je n’ai plus envie d’aller ailleurs!»
«La tendance consiste à proposer des habitations indépendantes avec un service professionnel», détaille Laurent Tabin, directeur de «Bed and Breakfast Switzerland», l’organe qui fédère et organise l’offre au niveau national. Particulièrement aux abords des grandes villes et dans l’arc lémanique, ce type d’hébergement s’est rapidement développé. En 2007, les 800 établissements actuellement répertoriés en Suisse ont totalisé près de 270’000 nuitées selon l’Office fédéral de la statistique, soit une hausse de 50% par rapport à 2005. Et le directeur de Bed and Breakfast Switzerland annonce déjà plus de 1’000 adresses répertoriées pour le guide de 2010, actuellement en préparation.
Issus d’une tradition anglo-saxonne, ces modes d’hébergement, apparus en Suisse au milieu des années 90, ont su s’adapter au marché. «Depuis quelques années, l’évolution des offres touristiques est considérablement marquée par le ‘benchmarking’, qui se trouve à la portée de l’internaute lambda, analyse Francis Scherly, professeur à l’Institut de tourisme de l’Université de Lausanne. N’importe quel touriste a la possibilité de comparer les différentes formes d’hébergement avant son séjour, et de les noter ensuite. Cela favorise l’émergence des maisons d’hôtes en raison du rapport qualité prix attractif qu’elles offrent.»
Au menu: ambiance conviviale, tranquillité, confitures et pain frais maisons, pour des prix très raisonnables. La nuit, facturée entre 60 et 250 francs par personne en fonction de la saison et de la longueur du séjour, se révèle avantageuse par rapport à l’hôtel. «Mais au-delà de l’aspect commercial, il s’agit d’un mode d’hébergement qui privilégie un contact humain, constate Francis Scherly. En optant pour une maison d’hôtes, le client obtiendra toujours un service personnalisé. Même dans un palace, il existe toujours une certaines distance entre le client et le personnel.»
Une convivialité qui constitue un atout, surtout auprès des expatriés fraîchement arrivés: «Ils apprécient de rencontrer des Suisses et de bénéficier de leurs conseils, mais également de connaître d’autres étrangers dans la même situation, raconte Brigitte Bürgisser, propriétaire de deux établissements à Begnins et à Coppet. J’ai vu de nombreuses amitiés se lier ici.»
Des entreprises fragiles
Malgré le succès de la formule, il est plutôt rare qu’un Bed and Breakfast permette à son propriétaire de faire beaucoup d’argent. Après déduction du petit-déjeuner, des charges, de la blanchisserie, des impôts et de la taxe de séjour, ne restent que quelques dizaines de francs par nuit pour le patron. Les bénéfices mensuels excèdent rarement les 3’000 francs.
Un extra qui peut être bienvenu, mais qui représentent beaucoup d’heures de travail, ainsi qu’une disponibilité sans faille. «Une telle entreprise peut vite envahir la sphère privée, concède Alfred Demaurex, un retraité qui s’est lancé il y a un an à Epalinges. Durant toute ma vie professionnelle, je me suis habitué à avoir des week-ends. Maintenant que je me suis investi dans cette entreprise, je n’en ai plus!» Bref, avec une maison d’hôtes, il devient difficile de lâcher prise. Et le modèle économique reste fragile: «Pour 30% d’augmentation annuelle des établissements, il y en a 10% qui disparaissent, note Laurent Tabin de Bed and Breakfast Switzerland. Comme dans toute petite entreprise familiale, il suffit d’une maladie ou d’un quelconque changement de situation pour que tout s’arrête.»
Au départ, ce sont souvent des raisons personnelles qui incitent les propriétaires à investir dans l’accueil d’hôtes. Les retraités et les jeunes mères sont séduits par l’idée de créer leur propre entreprise, d’être indépendants et flexibles. Mais c’est surtout le goût pour la rencontre des gens d’ailleurs qui motive ces propriétaires qui ont, la plupart du temps, beaucoup voyagé et parlent plusieurs langues. «Cela ouvre l’esprit et c’est très épanouissant de rencontrer une telle diversité de personnes, confie Isabelle Kaser. Savoir comment et jusqu’où les approcher représente tout un art.»
Actuellement, les maisons d’hôtes ne représentent qu’un faible pourcentage des 36 millions de nuitées nationales. Compte tenu de leur potentiel de croissance, vont-elles faire concurrence aux hôtels? «Nous ne voyons pas les Bed and Breakfasts comme une concurrence, répond Nora Fehr, d’Hotelleriesuisse. Il s’agit plutôt d’un complément à la vaste offre d’hôtels existante. Une palette diversifiée est primordiale pour préserver l’attrait de la destination Suisse et pour satisfaire les diverses attentes des touristes.»
Pour Francis Scherly, il n’est pas question de compétition mais d’une saine émulation, qui devrait stimuler les hôteliers suisses et améliorer la qualité de leur accueil. «Nous nous trouvons dans un marché que ne laisse plus de place à la qualité moyenne.»
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Casa Isabella, Dully (VD)
Lorsqu’ils ont rénové leur bâtisse du 19e, Isabelle et Denis Kaser ont conçu deux chambres d’hôtes luxueuses, qu’ils louent 150 francs la nuit. «Au début, nous avons fait un peu moins de 200 nuitées par an. Mais nous n’exploitions pas la structure à 100% car nous avions chacun un travail.» Jeune mère depuis quelques mois, Isabelle Kaser a décidé de se consacrer entièrement à son Bed and Breakfast. «Je prévois d’augmenter le taux d’occupation des chambres de 60% grâce à mes démarches auprès des entreprises, avec une croissance de 5% par an.» Dès cet hiver, le couple exploitera une troisième chambre, ainsi qu’un studio et un appartement. «Il faut deux à trois ans pour amortir l’investissement, mais après cela, je compte bien tirer un joli salaire de mes activités.»
Villa Sanluca, Nyon
Un parc arborisé de 1’300 m2, une piscine chauffée et trois chambres de charme: au cœur de Nyon, la Villa Sanluca accueille une clientèle haut de gamme. Sandra et Lukas Hofer Veraldi ont acquis leur propriété en 2005, après avoir eux-mêmes beaucoup voyagé. «L’investissement s’élève à environ 40’000 francs par chambre, qui coûtent entre 140 et 270 francs la nuit, en fonction de leur taille. Avec plus de 800 nuitées annuelles, notre Bed and Breakfast tourne très bien. Mais pour pouvoir en vivre il nous faudrait au moins dix chambres.» Sandra Hofer Veraldi ne consacre donc que 50% de ses activités au Bed and Breakfast. Le reste du temps, elle travaille comme indépendante, alors que son mari occupe un emploi à plein temps.
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Une version de cet article est parue dans Bilan.
