Les interfaces tactiles des nouveaux iPhone, portables et agendas de poche menacent la traditionnelle souris, dont certains analystes annoncent la prochaine disparition. Le leader mondial du secteur anticipe en diversifiant encore son offre.
Elle semble éternelle à côté de nos claviers. Pourtant, la souris informatique doit aujourd’hui faire face à une concurrence accrue: écrans tactiles (comme sur l’iPhone d’Apple), trackpads à plusieurs points de contacts, joystick 3D comme sur la console Wii ou outils de reconnaissance faciale ou gestuelle, les interfaces à la mode misent sur de nouvelles interactions. L’évolution des besoins et des usages s’est tellement accélérée ces derniers mois que certains spécialistes vont jusqu’à annoncer la fin de la souris dans une perspective de 3 à 5 ans déjà. C’est le cas de Steve Prentice, analyste phare du bureau d’étude américain Gartner, qui a jeté ce pavé dans la marre il y a quelques jours: «Ce périphérique convient bien à un PC de bureau, mais pour l’informatique de loisir à la maison ou pour le travail sur un ordinateur portable, la souris est déjà en voie de disparition.»
Une perspective alarmante, on l’imagine, pour Logitech, leader incontesté du secteur. La multinationale suisse fabrique en effet près de 8 millions de souris par mois dans son usine chinoise de Suzhou. Sous ses diverses déclinaisons, ce produit représente près d’un tiers du chiffre d’affaire de l’entreprise, qui s’est élevé à 665 millions de dollars pour le troisième trimestre (et atteignait 1,51 milliard d’euros pour l’exercice fiscal 2007-2008, terminé en mars).
Cette manne, qui semble inépuisable, peut-elle vraiment se volatiliser en l’espace de quelques années, comme le suggère l’étude de Gartner? «L’analyse de Steve Prentice est surprenante car elle contredit la réalité actuellement observable: le marché de la souris ne s’est jamais aussi bien porté, constate Michael Foeth, analyste du secteur auprès de la banque privée Vontobel. Le périphérique souris reste l’une des premières sources de croissance pour Logitech.» Pour l’année fiscale 2008 (clos le 31 mars 2008), la firme suisse a enregistré une hausse de 22% dans ses ventes de «retail pointing devices» (essentiellement des souris). Au cours du premier trimestre de l’année fiscale 2009 (avril-juin 2008) les ventes de souris ont augmenté de 34%, et encore de 16% au cours du deuxième trimestre de l’année fiscale 2009 (juillet-septembre 2008).
Comment expliquer ce paradoxe, alors même que les consommateurs sont de plus en plus en plus nombreux à délaisser les ordinateurs de bureau pour des PC mobiles? «Les deux-tiers des acheteurs de portables acquièrent aussi une souris, répond Daniel Borel, fondateur de Logitech et président du conseil d’administration. Les utilisateurs ne sont pas prêts à se passer d’un outil aussi agréable et efficace.»
Le couple clavier/souris est-il pour autant immuable? «La souris va certainement rester un périphérique privilégié pour les tâches requérant une certaine précision, comme l’utilisation d’un traitement de texte ou d’un tableur, estime Pierre Dillenbourg, professeur en nouvelles technologies de l’information à l’EPFL. Mais pour les fonctions de zoom ou de rotations d’objets, la souris ne constitue pas la panacée. Dans ces cas de figure, les nouvelles interfaces tactiles, comme celle apparues sur les portables Apple (le pouce et l’index permettent de zoomer ou tourner des photos très rapidement et intuitivement, ndlr) fonctionnent bien et sont plus adaptées. De tels systèmes remplacent avantageusement la souris lorsqu’il s’agit d’interagir avec des images ou de se balader/zoomer sur une carte géographique.»
Un point de vue que rallie même Rory Dooley, chef du département des périphériques chez Logitech: «La souris a été d’abord pensée pour sélectionner des icônes, pas pour manipuler des objets. Elle reste l’outil le plus polyvalent mais certaines limitations existent avec des logiciels comme GoogleEarth, par exemple, où les trois dimensions sont pleinement exploitées. C’est d’ailleurs pourquoi nous proposons une gamme de souris 3D spécialement conçues pour ce type d’applications.»
En clair, Logitech n’entend pas laisser passer le train de l’innovation en matière de périphériques. Qu’il s’agisse de manettes de jeu ou de caméras capables d’interpréter les mouvements, la firme de Romanel sur Morges se profile sur tous les types d’interfaces: haut parleurs, écouteurs, télécommandes, webcams, claviers de toute sortes, représentent aujourd’hui la majorité du chiffre d’affaire… D’année en année, Logitech étend son catalogue, aujourd’hui riche de plus de 200 produits, tout en développant de interfaces novatrices, toujours appelées «souris» mais qui n’ont plus grand-chose à voir avec le premier modèle commercialisé en 1982. «Pour une utilisation dans le salon, nous proposons par exemple une souris spatiale sans fil baptisée MX Air qui, comme son nom l’indique, a la particularité de fonctionner dans l’air», raconte Daniel Borel.
Certes, de nouvelles façons d’interagir se popularisent sous l’impulsion de produits tels que la console Wii de Nintendo ou l’iPhone. Pour la majorité des observateurs, ces nouvelles interfaces ne tueront cependant pas la souris, mais elles viennent en appoint pour combler ses faiblesses. C’est l’avis de Bill Buxton, chercheur chez Microsoft, qui livre la réflexion suivante dans un article critique sur les interfaces tactiles: «Ceux qui pensent que ces technologies vont remplacer la souris jouent un jeu dangereux. (…) L’enjeu des nouveaux dispositifs d’interaction est de fonctionner avec la souris, d’une manière simultanée (par exemple en utilisant l’autre main), ou d’être fort là où la souris reste faible.»
Selon Michael Foeth, de la banque Vontobel, Logitech est idéalement placé pour relever ces défis: «Vu les profits énormes dégagés ces dernières années et les sommes considérables investies en recherche et développement, la multinationale suisse a les cartes en main pour anticiper les différentes tendances et ajuster son offre. Pour cela, du reste, elle n’a pas attendu que l’on annonce la fin de la souris: au fil des ans, son chiffre d’affaire en dépend de moins en moins. Et si la marge brute de l’entreprise s’est un peu dégradée au deuxième trimestre (34.3% contre 36,3% auparavant), le résultat demeure au-dessus des objectifs initialement fixés (entre 32% et 34%).» Reste qu’à l’annonce, le 21 octobre, d’une baisse de ses prévisions de croissance pour l’exercice 2008-2009, le titre a dévissé de 14% en un jour, et il a encore perdu 6% depuis, à 17 francs fin octobre. «De notre point de vue, le titre est en ce moment sous-évalué, ajoute Michael Foeth. Nous recommandons l’achat, avec un objectif de cours à 27 francs.»
La souris informatique fêtera son 40e anniversaire le 9 décembre prochain à San Francisco. Logitech sera évidemment de la partie. La firme helvétique, fondée en 1981, pourra y célébrer un succès encore jamais démenti. «Pendant des années, on nous a annoncé que la reconnaissance vocale allait supplanter la souris, mais nous sommes toujours là, s’amuse aujourd’hui Daniel Borel. Aussi longtemps qu’existeront les ordinateur personnels, je parie que la souris restera d’actualité.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine suisse Bilan.
