«Travailler jusqu’à 70 ans, c’est assez logique si l’on considère qu’il est impossible de trouver du travail avant 65 ans».
Cette boutade du Canard Enchaîné stigmatisant l’élévation du plafond de l’âge de la retraite à 70 ans par nos voisins français pourrait être facilement recyclée à la sauce suisse. Tant les arguments contre l’initiative de l’USS, «Pour un âge de la retraite flexible», soumise au vote populaire le 30 novembre prochain, paraissent mélanger hypocrisie, mauvaise foi et mollesse politique.
Une initiative qui autorise une cessation de l’activité professionnelle dès 62 ans et sans pénalisation financière pour les revenus jusqu’à 120’000 francs. But avoué, selon la formule de l’ancienne conseillère fédérale Ruth Dreifuss: «Que les retraites anticipées, confortables quand on a un deuxième ou un troisième pilier, ne profitent pas qu’aux riches».
L’inégalité, actuellement, en termes de retraite anticipée, s’avère en effet des plus criarde: les rentes des métiers les plus pénibles sont aussi les plus basses, avec comme conséquence absurde que ce sont majoritairement ces travailleurs-là qui se trouvent contraints de ramer jusqu’à 65 ans. Des travailleurs qui, en plus, vivent moins longtemps et donc bénéficient d’un nombre réduit d’années de retraite effectives.
Trop cher, rétorque pourtant l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) qui chiffre le coût de l’opération à 1,5 milliard par année, tandis que les initiants, eux, avancent la somme de 800 millions. En fait, tout dépendra, évidemment, du nombre de personnes qui saisiront cette opportunité. Il est donc assez vain, dans un sens comme dans l’autre, d’en tirer un véritable argument.
Certes, dans la plupart des pays où ce genre de retraite anticipée est offert, ils sont nombreux à en profiter. Mais une étude récente publiée par l’agence temporaire Kelly Services montre que près d’un Suisse sur deux serait prêt à travailler au-delà de 65 ans. Spéculer donc sur le coût de cette réforme pour la condamner relève, au mieux, de la mauvaise foi.
Surtout lorsqu’on en déduit bien vite que l’initiative de l’USS va carrément ruiner l’AVS. Cet épouvantail a, en effet, été brandi depuis la création de la plus célèbre des assurances sociales, dès qu’il s’agissait de se montrer un peu plus généreux:
«On nous tient depuis 1948 un discours alarmiste. Or l’alarmisme est une stratégie», explique par exemple le conseiller national Stéphane Rossini, spécialiste des assurances sociales, et fer de lance de l’initiative.
Une stratégie limite mensongère qui plus est: «Les écarts entre les prévisions du Conseil fédéral et la situation effective de l’AVS de 2000 à aujourd’hui avoisinent les 20 milliards. On peut jouer sur la peur mais ce n’est pas crédible». Et le nez de Pascal Couchepin de s’allonger un peu plus.
Les chiffres par ailleurs que le Conseil fédéral essaie de présenter comme gigantesques et qui devraient signer vite fait l’arrêt de mort de l’AVS apparaissent soudain, au vu des catastrophes financières de cet automne, plutôt dérisoires. Stéphane Rossini toujours: «De plus en plus de citoyens en ont marre de constater que la Confédération ne donne qu’aux riches», avec ces 68 milliards offerts à l’UBS «en quelques heures et sans débat démocratique».
Enfin prendre pour argument l’hypothèse que dès 2035, il n’y aura plus que 2,1 cotisants pour 4 retraités — contre 3,7 aujourd’hui –, c’est faire preuve d’un fatalisme peu glorieux. Ce chiffre n’a en effet rien d’inéluctable, et pourrait être gonflé par une vraie politique nataliste.
Mais non, à Berne, on préfère se croiser les bras et considérer comme acquis l’avènement d’une société de vieux, qui n’aura que des désavantages et pas seulement concernant le financement de l’AVS. Comme si, à force d’être hospitalisés les uns après les autres, les kroumirs du Conseil fédéral se réjouissaient d’une telle perspective.