LATITUDES

J’habite sous un pré

De drôles de toits verts font leur apparition en ville et à la campagne. Avec un avantage écologique car la terre isole. Visite tout en hauteur.

Quelques vaches ruminent dans le champ d’à-côté, les Préalpes en contre-jour. La vue est magnifique depuis le toit de la maison d’Urs Aebischer dans le petit village de St. Sylvester, à vingt kilomètres au sud-est de Fribourg. Sous les pieds, le toit est mou et les chaussures sont rapidement trempées par la rosée matinale. Un vrai champ d’herbes folles.

«J’ai voulu que ma maison s’intègre le mieux possible dans son environnement, explique son constructeur. Au début, il n’y avait que les herbes que j’avais moi-même plantées, mais après quelques années déjà, des plantes environnantes sont venues pousser sur mon toit.»

Dans un coin face à la forêt, on découvre d’ailleurs un jeune sapin d’une vingtaine de centimètres de haut. Il devra être arraché: la couche de terre ne suffit pas pour nourrir de tels arbustes. La joubarbe, une plante grasse, s’est également installée dans ce pré surélevé. Des oiseaux prennent de la terre et des racines sur les bords du toit pour construire leur nid plus loin. Quelques toiles d’araignées capturent la lumière matinale. Le toit fait désormais partie de la nature. Mission accomplie.

«Une toiture végétalisée permet une meilleure régulation thermique», explique Yvon Vannay, un architecte paysagiste de Monthey spécialisé dans le verdissement des édifices. En hiver, la couche de terre isole mieux, permettant des économies d’énergie. En été, la température ne dépasse pas les 25 degrés. Même pendant la canicule de 2003, confirme Urs Aebischer.

Beaucoup de nouveaux bâtiments intègrent dorénavant des toitures végétales, pour des raisons esthétiques ou par volonté d’afficher une sensibilité écologique.

Dans les villes, cette tendance provient essentiellement de nouvelles réglementations, explique François Thedy, architecte paysagiste dans une entreprise d’étanchéité à Genève: «Dans certains quartiers sensibles, les nouvelles constructions doivent remplacer, sur leur toit, la surface verte perdue au sol. Dans la plupart des cas, les mandataires optent pour une solution minimale, dite «extensive», soit un tapis de végétation mince et peu dense (lire l’encadré).»

Menuisier de profession, Urs Aebischer a commencé la construction de sa maison en 1986, en utilisant principalement des matériaux naturels. Au centre du salon, une majestueuse branche d’arbre arrondie fournit l’ossature de l’escalier.

Dehors, des troncs de sapin des montagnes courbés par le poids de la neige soutiennent le balcon. D’un côté de la maison, l’eau ruisselle du toit et tombe dans une mare biotope où nageotent des nymphes de libellules. De l’autre, elle est récoltée dans une citerne, d’où elle est pompée en été pour arroser le pré.

«C’est très beau en hiver, lorsque l’eau du toit se met à geler. Mais le poids de la glace arrache parfois la terre du toit.»

L’aménagement du toit vert de St. Sylvester n’a pas été spécialement difficile. «Il a fallu construire un peu plus solide pour supporter le poids supplémentaire de la terre.»

Le permis de construire? «Je l’ai facilement obtenu, sourit Urs à travers sa barbe. J’avais fait une maquette de la maison comme je l’imaginais. Les autorités l’ont bien aimée!» Au-dessus de la charpente en bois, il a posé une couche d’isolation Isoflock, faite de flocons de vieux papier (plus écologique, mais moins efficace que de la laine de verre). Par-dessus, une feuille en plastique pour l’étanchéité, et ensuite dix centimètres de terre provenant des alentours.

Né à une dizaine de kilomètres de St. Sylvester, l’artisan n’a jamais quitté le district fribourgeois de la Singine, que l’on peut traduire par «district de la Faux» en allemand. Ce dernier porte d’ailleurs bien son nom: une fois pas an, le menuisier de 59 ans grimpe sur son toit pour y couper l’herbe. A la faux.

Toit végétal, mode d’emploi

Les toitures végétalisées se déclinent sous deux formes, l’extensif et l’intensif. Le toit végétalisé «extensif» est un tapis de végétation mince et peu dense, qui fleurit du printemps à la fin de l’été. C’est l’option la plus économique et la plus simple d’entretien.

Un jardin extensif n’est, en principe, pas accessible, à l’instar des traditionnels toits plats remplis de gravier qu’il peut remplacer. Car comme ces derniers, l’infrastructure n’est pas faite pour une fréquentation répétée, et des barrières de sécurités devraient être en tous cas aménagées.

Pour alléger la couverture, on utilise un substrat minéral plus léger, moins dense que la terre. On y fera pousser des espèces alpines telles que joubarbe (ou Sedum), œillets, thym et Gypsophila, des plantes grasses qui tolèrent mieux la sécheresse et nécessitent un entretien minimal. Deux fois par an, il faut couper, nettoyer, donner des engrais et désherber. Une couverture extensive peut peser de 65 à 100 kilos par mètre carré. Une pente d’au moins 1,5% doit être aménagée pour faciliter l’écoulement de l’eau.

Les plus ambitieux opteront pour le toit «intensif», qui permet d’aménager un véritable jardin sur son toit avec des fleurs, légumes, arbustes et même des arbres, sur un toit plat ou en pente. Il nécessite une couche de terre de 10 à 50 cm, voire plus, et son poids peut dépasser les 500 kilos par mètre carré – une charge importante que certains bâtiments ne peuvent pas supporter.

Mieux vaut donc planifier son toit-jardin dès la construction de sa maison pour tenir compte des charges supplémentaires. Pour aménager un toit vert après coup, il faudra faire appel à un ingénieur pour calculer le poids maximal que peut supporter sa maison. L’étanchéité doit bien entendu être suffisamment robuste pour résister à l’humidité ainsi qu’aux racines. Un toit vert ne nécessite pas de formalité administrative particulière. Seuls quelques cantons (en Suisse allemande) proposent parfois des incitations financières aux particuliers.

S’agissant du coût, les entreprises suisses préfèrent ne pas trop s’avancer: le devis dépend de l’habitation et du projet. «Certains clients qui viennent se renseigner sont parfois refroidis par les coûts, surtout dans les cas des jardins intensifs, confie François Thedy, architecte paysagiste à Genève. Il faut souvent compter avec des dizaines, voire une centaine de milliers de francs…» Les bricoleurs pourront poser eux-mêmes des tapis végétaux précultivés (extensifs ou semi-intensifs). L’entreprise Plus Nature près d’Orléans (France) en propose au prix de 50 à 100 € le mètre carré (hors taxe, pose et livraison). L’Association suisse des spécialistes du verdissement des édifices offre des conseils par téléphone au 033 223 37 57.

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Les avantages d’un toit vert

Un couche végétale sur son toit diminue les variations de température: l’habitation est plus fraîche en été, et mieux isolée en hiver. Le rayonnement de chaleur dû à la construction est diminué et plus d’humidité retourne à l’environnement. L’eau de ruissellement peut être réutilisée pour arroser le toit, ce qui évite de surcharger les eaux usagées traitées dans les stations d’épuration. La végétation aide également à fixer les poussières et à absorber les bruits. Idéal pour hiberner en toute tranquillité.

Le cube vert du Flon

Sur le toit, 400 mètres carrés de plantes vertes indigènes (lierre, Waldsteinia, iberis et alchémille). Sur le côté, un mur végétal de 120 mètres carrés. Le nouveau Centre clientèle des Transports publics de la région lausannoise (TL) apporte une touche de vert remarquée dans le quartier du Flon, en plein centre de Lausanne. «Nous avons voulu montrer notre attachement au développement durable, raconte Jacques Filippini, porte-parole des TL. L’aspect esthétique nous a bien sûr convaincu, mais nous voulions également marier nature et construction moderne.»

«Il n’y a d’ailleurs pas besoin d’arroser car l’eau de pluie est récoltée et automatiquement pompée lorsque la terre s’assèche, explique Emmanuel Ventura, l’un des architectes du projet. La consommation électrique de la pompe est si faible – de l’ordre d’une ampoule – que nous avons renoncé à l’alimenter par des panneaux solaires.» Les plantes cachées dans le fond de la vallée du Flon et redécouvertes lors des travaux de fondation ont inspiré les architectes. «Nous avons voulu redonner à cette végétation oubliée sa place et la faire ressortir au grand jour.»