Où est donc passée la thérapie génique? Présentée dans les années 1990 comme une technique qui allait révolutionner le monde et guérir toutes les maladies, cette méthode thérapeutique, encore largement expérimentale, a disparu depuis de la sphère médiatique. D’un point de vu théorique, le concept, évoqué dès les années 60, est relativement simple: si un gène défectueux cause une maladie, il suffit de le remplacer par un gène intact pour guérir le patient.
En pratique, les choses demeurent bien évidemment beaucoup plus complexes: «Jusqu’ici la thérapie génique a soigné beaucoup plus de souris que d’hommes», note Sandro Rusconi, directeur entre 1996 et 2001 du programme national de recherche «Thérapie génique somatique».
La première difficulté tient dans le transport du gène que l’on souhaite transférer au patient. «Pour le moment, les seuls médiateurs connus sont des virus», explique Sandro Rusconi. Ceux-ci infectent naturellement les cellules humaines. Il suffit donc de leur ajouter un gène au laboratoire pour qu’ils le transportent à l’intérieur de l’organisme. Problème: ces «chevaux de Troie» de la cellule travaillent également pour eux-mêmes. «Avant de les utiliser, il faut donc les désactiver pour qu’ils ne transmettent pas une maladie au patient.»
Des premiers essais cliniques ont eu lieu dès le début des années 90, pour traiter des maladies très diverses: cancers maladies vasculaires, infections virales, immunodéficiences héréditaires…
«Le secteur a alors connu une décennie euphorique, raconte Sandro Rusconi. Les essais cliniques se sont multipliés en dépit du bon sens, pour aboutir à des produits commerciaux le plus rapidement possible.» Résultat: certaines expériences ont tourné au drame. En 1999, la mort aux Etats-Unis d’un enfant, Jerry Jelsinger, a ébranlé la communauté scientifique et médicale.
«A la suite de plusieurs autres décès, les essais cliniques ont été interrompus», raconte le professeur Nicolas Mermod, de l’Institut de biotechnologie moléculaire UNIL-EPFL.
Dix ans plus tard, la thérapie génique relève la tête. «L’efficacité de la technique a progressé, on utilise des doses plus faibles de virus pour de bons résultats thérapeutiques, poursuit Nicolas Mermod. Les tests cliniques ont repris, notamment pour traiter les malvoyants, les enfants bulles, les gliomes malins et les cancers.»
A Paris notamment, les expériences du professeur Alain Fischer et de Marina Cavazzana-Calvo, visant à traiter les nouveau-nés atteints d’immunodéficience sévère (enfants bulles) peuvent être considérées comme une réussite. «Sur une dizaine d’enfants traités, six sont complètements guéris d’une maladie pour laquelle il n’existe pas d’autres traitements. Ils vivent désormais complètement normalement comme les autres enfants, alors qu’ils seraient décédés sans traitement, se réjouit Sandro Rusconi. Néanmoins quatre autres ont développé des leucémies, dont un en est mort.»
L’apparition de cancers chez les patients traités par thérapie génique reste, pour le moment, inhérent à la technique.
«Le gène qui doit guérir le patient s’insère plus ou moins de manière aléatoire dans le génome, explique Sandro Rusconi. Or, il existe des endroits critiques où, lorsque le gène s’implante, il modifie l’équilibre génétique du malade et peut induire des cancers.»
En attendant que les chercheurs parviennent à contrôler le lieu d’insertion, la technique reste expérimentale et uniquement dédiée aux maladies graves pour lesquelles il n’existe pas d’autres remèdes. «Le risque zéro n’existe pas, souligne Nicolas Mermod. Pour le moment, la question est de savoir si la maladie à traiter est suffisamment grave pour prendre le risque d’utiliser cette méthode qui reste relativement risquée. En d’autres termes, s’il existe une alternative thérapeutique pour le patient, mieux vaut l’utiliser.»
Pour autant, ce problème ne douche pas l’enthousiasme des chercheurs à l’égard de cette technique. «Potentiellement, toutes les pathologies, y compris les maladies acquises et les traumas, pourraient être traitées par thérapie génique», estime Sandro Rusconi. A terme, les progrès scientifiques devraient permettre de mieux contrôler le lieu d’insertion du gène d’intérêt. «Les chercheurs travaillent pour identifier des virus ou d’autres vecteurs, qui interfèrent moins avec le génome du patient», poursuit Sandro Rusconi.
Cette technique pourrait-elle alors être utilisée pour améliorer les performances de personnes saines comme dans le dopage génétique? «Théoriquement, la possibilité existe, répond Nicolas Mermod. Par exemple, il serait possible d’insérer le gène de l’EPO dans les cellules pulmonaires des sportifs. Leurs poumons fabriqueraient ainsi « naturellement » cette protéine. En pratique, néanmoins, c’est extrêmement compliqué: il faut fabriquer une très grande quantité de virus « propres ». En cela, la thérapie génique demande des infrastructures très lourdes.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex de décembre 2008.