Télécommandes, consoles, SMS… Les nouvelles sollicitations du premier doigt de la main mettent un terme au règne de l’index. Une évolution morphologique qui transforme l’ergonomie des appareils.
Serait-on entré dans le siècle du pouce? C’est ce que suggère le philosophe allemand Peter Sloterdijk dans les colonnes de l’hebdomadaire Die Zeit. En évoquant le téléphone mobile, il s’intéresse plus particulièrement à la mobilité de la main liée à l’apparition de cet appareil. «Les pouces sont devenus les doigts privilégiés de l’homme moderne», observe-t-il. «Le pouce a relégué au second rang les autres doigts, il est le grand gagnant de ce siècle.»
Ce n’est pas Sadie Plant qui le contredira. Professeur à l’Université de Warwick (Royaume-Uni), elle a fondé une unité de recherche sur la culture cybernétique. Ses travaux ont montré que «certaines parties du corps se modifiaient pour s’adapter aux nouvelles technologies, notamment celles de la main et plus particulièrement du pouce, lequel accroîtrait sa dextérité et sa robustesse». Un phénomène observé en 2001 déjà sur la génération des 25 ans et moins.
Alors que le pouce, comme moyen de transport est en train de disparaître, cette nouvelle sollicitation retient l’attention. Fini le règne de l’index.
Déjà avec l’arrivée des produits pilotés par une télécommande, l’utilisation des pouces avait été sollicitée. Avec les consoles de jeu et l’envoi massif de SMS, elle s’est intensifiée. La manipulation par le pouce permet un mouvement minimal très efficace. Résultat, toutes les tâches de frappe lui sont déléguées. Au Japon, relève Sadie Plant, les plus accros de nouvelles technologies auraient même remplacé l’index par le pouce pour pointer du doigt ce qu’ils veulent désigner.
«Il y a une relation de réciprocité entre la technologie et ses utilisateurs. Nous nous changeons mutuellement. Il est particulièrement intéressant de découvrir que la jeune génération s’est mise à se servir de ses pouces d’une façon complètement différente et l’utilise instinctivement, alors que la plupart des gens utilisent l’index», déclare l’anthropologue.
Nos pouces qui nous définissent en tant qu’humains ne sont pas réduits au rôle de pinces. Leurs nouvelles sollicitations provoquent une mutation morphologique dont il importe de tenir compte dans l’ergonomie des appareils. En effet, une étude récente vient de montrer que les usagers à longs pouces éprouvent des difficultés à atteindre les touches 3, 6 et 9 et sont des clients insatisfaits des appareils actuellement sur le marché.
Quand on constatera que les pouces de la «Thumb Generation» dépassent souvent la phalange inférieure de l’index, le moment sera venu de déplacer les repères de la chiromancie. En effet, pour cet art divinatoire, chaque doigt révèle nos traits de caractère. Ainsi, le pouce, ou doigt de Vénus, est un indicateur des niveaux d’énergie. Son extrémité atteint normalement la phalange inférieure de l’index. Un pouce plus long peut indiquer un trop plein d’énergie (Voltaire et Napoléon en possédaient de très longs), un pouce qui n’atteint pas la base de l’index peut indiquer un manque d’assurance et de confiance en soi.
«Under My Thumb», chantaient en 1966 les Rolling Stones. Ils ne se doutaient pas que quarante ans plus tard, c’est l’ensemble de la société qui vivrait sous l’emprise du pouce.
