Banquiers, politiciens, fonctionnaires: vastes professions qui exigent des talents aussi divers qu’improbables, l’actualité de ce début d’année l’a encore montré.
Le talent de contorsionniste, par exemple. Tenez, à Genève, l’infortuné maire Manuel Tornare, sommé, depuis un vague séjour indien, de prendre position sur l’opportunité d’interdire ou non dans sa bonne ville le spectacle d’un célèbre bouffon — Dieudonné, drôle de nom pour un sale type.
Pas de quoi impressionner néanmoins Monsieur le maire, qui effectue illico une impeccable pirouette, fort utile en ces temps où, pour casser du juif, on se draperait volontiers dans le keffieh sans risque de la bonne conscience universelle: «Je suis pour la liberté d’expression même pour les imbéciles.» Chapeau l’artiste.
On ne dira rien, sinon pour évoquer rapidement cette discipline raffinée qu’est l’enculage de mouches, des fonctionnaires de l’Office fédéral de l’agriculture, phosphorant sur une prochaine interdiction de l’anti-bouse électrique, procédé certes un peu cruel pour que les vaches chient droit.
Autre sport périlleux, le baissage de pavillon. Démonstration éclatante par la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS, rien à voir avec l’anti-bouse). Qui vient de faire passer de 5’000 à 10’000 francs mensuels le seuil de revenu à partir duquel obligation peut être faite à tout bon citoyen de subvenir aux besoins de ses proches en difficulté: parents n’arrivant plus à payer leur séjour en EMS, enfants devenus adultes mais toujours incapables de s’assumer financièrement.
Une décision qui ne doit rien à l’analyse, à la générosité, ou à une ligne politique précise, mais ne fait qu’entériner une réalité connue de toutes les communes: dans les faits, personne, ou presque, ne paie. La ville de Zurich par exemple n’a encaissé l’an dernier qu’un petit million, soit 0,5% de l’aide sociale.
Eh oui, il faut bien s’y résoudre, et la CSIAS l’a fait sans moufter: la solidarité de proximité, c’est bien fini. Dans une sphère où chaque droit individuel en combat un autre, on ne compte plus que sur la solidarité anonyme, soviétique, des pompes de l’Etat.
Ce que résume dans «La Liberté» un presque retraité vivotant d’une rente AI et à qui la ville de Fribourg a demandé, sans succès, une contribution à l’entretien de son fils âgé de 40 ans: «Si un fils fait le couillon, ce n’est pas aux parents de payer jusqu’à la fin de leurs jours.»
Il n’y a plus guère que les naïfs banquiers de l’UBS pour croire à la persistance d’un monde idéal dans lequel, autrefois, paraît-il, le serrage de coudes faisait office de discipline obligatoire dans la fameuse cellule de base familiale. Il est vrai que ces banquiers-là ont largement montré l’an dernier toute l’étendue de leur crédulité. Ainsi ces braves gens laissent-ils échapper, dans leurs bons vœux à la clientèle, cette émouvante gentillesse: «Si des difficultés devaient se présenter, nous vous souhaitons de pouvoir compter sur l’appui de vos proches.»
Sous-entendu: si vous espérez une aide de votre banquier, sachez déjà que ce sera tintin. Là, on navigue carrément dans la technique toujours très prisée du bottage en touche.
Le nouveau roi de Suisse Gargamel 1er n’a guère été plus rassurant dans sa façon de proclamer, face à la crise, démerdez-vous tous seuls, chères concitoyennes, chers concitoyens. Lors de ses bons vœux de président de la Confédération, Hans-Rudolf Merz s’est en effet fendu de ce souhait enthousiaste: «Ayez des idées!»
L’Appenzellois a des excuses. Il ne s’agit ici que de l’art le plus pratiqué par tout homme publique qui se respecte: celui du «Faites ce que je dis, pas ce que je fais, et tant pis si moi je suis payé pour».