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La mauvaise idée d’une union RSR-TSR

L’unification de l’audiovisuel public avance à grand pas. La raison de cette démarche, le développement d’un pôle internet, n’est pas convaincante. Plus grave: l’absence de concurrence entre les rédactions.

L’autre jour, dans les journaux déjà (mal) unifiés Tribune de Genève et 24 Heures, Gilles Marchand annonçait d’un ton patelin la révolution audiovisuelle à venir: l’union de la télévision et de la radio.

Comme il se doit, la réalité crue (absorption de celle-ci par celle-là vu le rapport de force) est camouflée derrière un euphémisme dont les modernes managers sont friands. C’est donc de «convergence» qu’il faut parler.

A en croire Gilles Marchand, qui se pose sans ambages comme patron de la future entreprise, cette dernière sera multisite et multimédia. Parce que cette innovation n’est pas due soudain aux malheurs récents du directeur de la radio, mais bien à l’importance croissante des pôles internet dans chacune des deux maisons. Internet est indiscutablement devenu un troisième média.

Quel rapport a-t-il avec les deux autres? Une diffusion plus souple et plus rapide. Si pour la radio la chose ne fait aucun doute (on écoute avec plaisir son poste préféré à l’autre bout du monde), on aura plus de peine à croire que suivre une émission de télévision sur un écran d’ordinateur séduit vraiment. A chaque opération de communication, les fabricants veulent nous faire croire que cela marche très bien, en réalité, par rapport au poste télé, l’ordinateur ne fait pas le poids. Et ne parlons pas du téléphone…

Justement, à propos de téléphone: Pourquoi Gilles Marchand ne prévoit-il pas le multimédia total en intégrant aussi la téléphonie? N’est-ce pas par internet que les populations mondialisées ou migrantes se téléphonent? N’est-ce pas par le téléphone que qu’Internet arrive dans des coins perdus où le client peut se brancher illico sur Skype ou Yahoo pour virtuellement bécoter sa dulcinée? N’est-ce pas grâce à mon portable que je peux envoyer cet article à la rédaction du fond d’une forêt jurassienne? Avec un peu de suite dans les idées, c’est aussi une mise en pool avec Swisscom que Marchand devrait viser. Mais le rapport de force serait différent!

Cette idée de fusion engendrée par le développement du net semble se situer dans le droit fil de la culture managériale dominante qui veut que plus on est gros, mieux on se porte, ce que dénoncent pourtant non seulement les diététiciens mais aussi les analystes économiques. Ce sont ces modèles qui ont conduit à la crise des subprimes, puis à l’explosion de la bulle financière dont le premier effet a été le démantèlement de groupes bancaires artificiellement formés, le retour au fameux «small is beautiful».

Il est vrai que l’internet est en plein développement et offre comme l’on dit de belles opportunités. Si SSR Idée suisse qui au fil des années est devenue une immense machine veut s’en mêler, elle n’a qu’une chose à faire: créer une entreprise chargée de développer l’internet à côté de la radio et de la télé. Mais se pose alors la question du service public dont une tâche importante, le rayonnement et la voix de la Suisse dans le monde, est déjà assumée par Swissinfo.ch. Or sans service public, pas touche à la redevance!

Au-delà de cette incongruité technologique se pose la question de la liberté de l’information. Nous avons avec la RSR et la TSR deux médias de qualités qui supportent la comparaison avec leur concurrent étrangers. Cette qualité tient aussi en partie au fait qu’ils sont en concurrence. Chaque journaliste dans quelque domaine que ce soit se fait toujours un plaisir essayer d’arriver avant le copain d’en face.

Ajoutez à cet esprit de concurrence la variété et la diversité des entreprises et vous aurez une information de haute qualité servant de fondement à la culture politique du pays.

Si, dans un territoire aussi petit que la Suisse française, l’audiovisuel est dominé par un mammouth vorace dépendant de l’Etat et de l’argent public, cela signifie que la liberté de l’information subira une nouvelle régression. Or cette liberté ne se porte pas bien: la presse écrite a rétréci dangereusement. Un seul groupe de presse domine outrageusement la région et le cynisme avec lequel il a euthanasié les petits quotidiens locaux donne encore des aigreurs à nombre d’anciens lecteurs.

Par ailleurs, dans les médias qui subsistent, il faut bien chercher pour trouver des voix dissonantes, discordantes, voire juste un peu grinçantes. C’est normal: le marché de l’emploi a rétréci, les employeurs sont peu nombreux, la prudence est de mise…

Alors, on fait semblant d’être larges d’idées et l’on fait appel à des gens non stipendiés qui, sans autre risque que de ne plus être convoqués devant un micro ou une caméra, se gargarisent de leurs certitudes. Dans tous les médias, la mode est aux débats, mais un débat ne fait pas l’information, il la plombe sous le poids des idées reçues.

Reste bien sûr la mise en pratique de cette «convergence», le mélange des rôles, des genres et des lieux. Le mélange des métiers: un bon parleur ne fait pas obligatoirement un bon filmeur.

Interrogé sur le regroupement du nouveau pôle Actualités RSR-TSR à Genève, Gilles Marchand répond suavement: «C’est un scénario de travail. Nous n’avons rien décidé, on peut aussi imaginer les news à Lausanne. Et même si nous choisissons Genève pour l’actu, il y aurait certainement de la production radio et TV à Lausanne». C’est si simple que l’on s’étonne que personne n’y ait pensé plus tôt!