Quelle unanimité! Avant même d’accéder à la fonction suprême, le nouveau président américain a provoqué un tel déluge de louanges qu’il est difficile aujourd’hui, après sa prestation de serment, d’y ajouter une touche supplémentaire.
Sauf peut-être à souligner qu’en réalité, derrière la nouveauté absolue de l’élection d’un président afro-américain se cache aussi celle d’un intellectuel raffiné, d’un lettré, que les mœurs politiques étasuniennes n’ont pas coutume de projeter sur le devant de la scène. Au cours de la campagne électorale et hier encore lors de son discours inaugural, Barack Obama a montré des dons d’orateurs qui suscitent l’envie.
Mais il est aussi capable de manier la plume comme le prouve son autobiographie écrite à l’âge de 33 ans «Les rêves de mon père» dont la critique a souligné les qualités d’écriture.
Dans l’expression de leurs sentiments, les hommes sont ainsi faits que l’équité cède souvent le pas aux préjugés. Pas toujours dans le sens où on le croit. A formations équivalentes (tous deux juristes, l’un sorti de Yale, l’autre de Harvard), personne n’aurait eu la tentation de voir en Clinton l’intello qui saute aux yeux avec Obama.
A cette dimension intellectuelle très imprégnée de culture à proprement parler européenne, il convient d’ajouter l’acquis de ses origines familiales et de sa connaissance du monde. La figure du père économiste et africain. Celle de la mère, anthropologue travaillant sur le terrain en Indonésie. L’apprentissage paradoxal de la vie par la perte des parents. La jeunesse hawaïenne auprès de la grand-mère.
Ces éléments contrebalancent l’influence occidentale et font d’Obama un Afro-Américain qui penche plus vers le Pacifique que vers l’Atlantique. Il suit en cela le centre de gravité de la planète qui a sans doute quitté notre vieille Europe pour quelques bonnes décennies.
Ainsi polie par sa propre histoire et sa culture, il faut ajouter à cette étonnante personnalité le charisme que dégagent certains êtres comme l’ont prouvé les foules immenses qui, bravant un froid glacial, ont tenu à manifester leur soutien au nouveau président. C’est là que joue la fabuleuse prédisposition de certains individus à susciter un engouement populaire propre à développer un culte de la personnalité tout à fait déraisonnable comme nous l’avons vu au cours du XXe siècle. De ce point de vue, Obama est trop parfait (beauté, intelligence, posture morale, séduction, volonté, autorité…) pour que l’on ne se demande pas où git le point faible.
Comme il n’est pas encore entré en action et que ce n’est que sur le bilan de son action que l’on peut juger un homme politique, force est de se rabattre sur ses modèles. Or Obama le proclame depuis des mois, ses modèles sont Abraham Lincoln, John F. Kennedy et Martin Luther King. Trois personnalités exceptionnelles de l’histoire américaine dont la renommée a crû sur leur capacité à déterminer des solutions en temps de crise aiguë. Trois figures dramatiques aussi, puisque loin de pouvoir unifier une nation lacérée par ses divisions, elles ont toutes trois été assassinés.
Se réclamer posément, avec le sourire de qui est sûr de soi, de figures aussi tragiques revient à jeter un défi mortel à l’histoire. C’est implicitement prétendre que l’on va réussir là où les autres ont échoué. Il faut une folle témérité pour oser un tel défi. Barack Obama ose.
Pour le moment, cette posture exprime seulement une ambition tout à fait extraordinaire, nous verrons à l’usage si elle exprimait un orgueil démesuré ou une vraie capacité à sortir un peuple de sa déprime.
Car la tâche du nouveau président ne sera pas facile. Il l’a crûment rappelé dans son discours inaugural. Les Etats-Unis d’Amérique sont aujourd’hui très affaiblis. En économie, ils paient la lourde facture du néolibéralisme à la Reagan que même l’administration démocrate de Bill Clinton ne chercha pas à endiguer dans les années 1990. En politique étrangère, ils sont empêtrés dans les guerres déclenchées par les Bush père et fils au Proche Orient à quoi s’ajoute l’imbroglio palestino-israélien.
A suivre la cérémonie de Washington, il était impressionnant de constater le vieillissement de la classe politique américaine, un vieillissement heureusement contredit par l’allant du héros du jour. On avait l’impression d’assister à l’étrange remake des parades du groupe dirigeant soviétique à l’époque de Brejnev dans les années 1970-1980.
Obama ne s’y est pas trompé en faisant appel aux générations montantes. Seule la jeunesse pourra vraiment répondre à son appel pour, comme il a dit, donner tort à ceux qui ont la mémoire courte et méconnaissent la capacité historique des Américains de réaliser de grandes choses par leur propre volonté.