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Maudits bonus

Le système de rémunération propre à l’UBS est plutôt anecdotique. Ce qui l’est moins, c’est l’incapacité du Conseil fédéral à adopter une position claire sur cette question hautement symbolique, et qui cache des manquements plus graves.

Le suspense est insoutenable. À qui iront les fameux bonus (deux milliards) que l’UBS s’apprête à verser pour l’exercice 2008? À tous les employés? Aux pirates seuls de la succursale américaine? Peu importe, c’est le chiffre qui choque et qui heurte: 2 milliards, c’est un tiers de la somme que la Confédération a aimablement mise à disposition des banquiers l’automne dernier pour faire face à la tourmente.

Résultat, le Conseil fédéral a l’air aujourd’hui bien emprunté, donnant l’impression de ne guère en savoir plus que la population. Laquelle, spontanément et sans être détrompée, juge que notre gouvernement s’est fait avoir dans les grandes largeurs par les banquiers sans âme ni conscience de l’UBS.

On attendait pourtant du Conseil fédéral une manière de rebuffade, et qu’il tape lourdement du poing sur la table. Ou alors avance quelques explications, dise franchement qu’il trouve ça normal, les bonus. Des justifications, il en existe d’ailleurs, et l’UBS a tenté, assez maladroitement, d’en exposer une ou deux.

En soutenant par exemple que les bonus ne seraient rien d’autre que des compléments de salaire dus contractuellement. Sauf que flotte, insistant, comme un léger parfum d’entourloupe. Soit il s’agit de compléments attribués en fonction des résultats et leur versement ne se justifie pas, soit il s’agit de rémunérations indépendantes des résultats, et elles doivent êtres versées, mais alors ce ne sont plus des bonus.

Au lieu d’éclairer cette question (au nom de l’autorité que lui confère l’apport des 6 milliards, au nom aussi de son rôle de gestionnaire de l’argent public), le Conseil fédéral bafouille, balbutie et finit par se taire. Tout en envoyant au feu son malheureux porte-parole Oswald Sigg. Quitte ensuite à le bâillonner dès qu’il aborde franchement le problème.

C’est ce qu’a fait Pascal Couchepin en conférence de presse, interrompant Sigg d’un sec et désagréable «L’UBS et la Finma (l’autorité de surveillance des marchés financiers) communiqueront là-dessus».

Comme c’est courageux: laisser au gendarme technique de la bourse et au principal suspect le soin de trancher un différend aussi éminemment politique. L’épithète de «laquais des banques» qui commence à fleurir à propos du Conseil fédéral dans une presse souvent trop prompte à casser du banquier seulement parce qu’il est banquier, semble cette fois largement méritée.

Evidemment, l’essentiel est sûrement ailleurs, bien au-delà de cette épicière question des bonus. En tout cas si l’on écoute un certain Nouriel Roubini qui s’est exprimé à Davos. Pas n’importe qui, ce Roubini: prof à l’Université de New York, ancien conseiller du trésor américain, il a été l’un des rares, dès 2006, à avoir prédit le tsunami financier.

Entre les petits fours du WEF, il s’est permis d’affirmer que la plupart des acteurs financiers et politiques n’avaient retenu jusqu’ici aucune leçon de la crise. Que les plans de relance étaient ridiculement insuffisants et parfaitement inefficaces faute d’une ligne directrice et d’une stratégie affirmée et concertée. Que réglementer le système prendrait trop de temps: d’ici là d’autres catastrophe se seront produites. Et que la seule solution à court terme, pour sauver ce qui peut l’être, aurait été de nationaliser momentanément les banques.

De ce point de vue, notre Conseil fédéral n’a pas fait non plus très fort: non seulement aucune nationalisation n’a été envisagée, mais la seule idée d’une prise de participation même modeste a été dédaigneusement repoussée. Non, tout ce à quoi le Conseil fédéral a bien voulu consentir, c’est de cracher mollement, trop mollement, au bassinet, et sans contrepartie.

Le voilà donc aujourd’hui bien embarrassé pour commenter le sans-gêne de l’UBS. Son manque de pugnacité dans l’affaire des bonus résulte directement d’un manque d’audace et de vision plus ample et plus général. Plus grave aussi.