GLOCAL

Une UDC battue mais plus nuisible que jamais

Après le oui du 8 février, les démocrates du centre se profilent comme les saboteurs d’une politique européenne de plus en plus complexe à mener. Et suspendue, comme dimanche dernier, au sang-froid du peuple.

Si les vainqueurs de la votation du 8 février sur la libre circulation ont eu du mal à cacher un triomphalisme déplacé, allant jusqu’à exiger une adhésion prochaine, les perdants se sont, comme on dit, lâchés de façon encore plus douteuse. Et ce ne fut pas beau à voir.

D’avantage que la problématique des requérants, c’est bien la question européenne qui met à nu les manières profondes, le coeur palpitant de l’UDC et la font apparaître, l’espace d’un soir, pour ce qu’elle est réellement, ou en tout cas risque de devenir, d’échecs en échecs: une coalition de malfaisants, une sorte d’anti-Suisse acharnée, sous prétexte de patriotisme et d’indépendance, à démolir un pays simplement parce qu’il n’est plus tel qu’on l’avait rêvé.

La Suisse fantasmée de l’UDC, prête à mourir pour la démocratie directe et la conviction d’être unique au monde et meilleure que tout le monde, n’existe tout simplement pas, ou plus.

Bien sûr, on se focalise ces jours sur le dérapage du plus célèbre des fanatiques europhobes, Christoph Blocher, comparant le vote du 8 février à l’adhésion moutonnière jadis du peuple allemand à la folie hitlérienne. Tout aussi puéril et décérébré que de dessiner des symboles nazis sur le drapeau israélien.

Alors, gâteux, Blocher, et lâché par ses troupes? Pas vraiment. D’abord, il a reçu le soutien plein et entier de l’idéologue numéro un du parti, Christoph Mörgeli, expliquant tranquillement que cette votation avait «malheureusement montré à quel point les mensonges et les manquements à la parole permettaient de gagner une majorité.»

C’est évidemment le contraire qui est vrai: ce qui a triomphé dans cette histoire, c’est la froide et triste vérité martelée par les Trois Grâces du Conseil fédéral. À savoir qu’à force de faire les malins avec l’Union européenne, on allait perdre sur tous les tableaux, principalement économiques.

Le quotidien roumain «Adevarul», cité par Le Temps, résume sobrement pour ses lecteurs ce qui s’est passé ce dimanche-là: «La Suisse nous accepte. Rassurez-vous, ce n’est pas de l’amour mais la peur de perdre les accords avec l’Union européenne qui a joué en notre faveur.»

Même analyse dans la plupart des grands médias européens, à l’instar d’«El Pais»: «La peur du dumping salarial, l’escalade de la criminalité et l’abus des prestations sociales n’ont pas été suffisants face aux énormes intérêts économiques et commerciaux en jeu.»

Oui, le vote du 8 février est un vote bassement intéressé, remarquablement calculateur, tenant compte des vrais rapports de force actuels sur le continent européen. De ce sang-froid presque machiavélique, le peuple suisse aura encore besoin, très vite, face à l’offensive de l’Union contre le secret bancaire et les forfaits fiscaux. Face aussi au prochain candidat à la libre circulation, la Croatie. Face enfin aux nombreuses croisées de chemins qui se dressent déjà: il faudra bien un jour choisir entre un accord-cadre, l’adhésion ou la poursuite d’un bilatéralisme de plus en complexe et difficile à maîtriser.

Ce sang-froid, cette vision très terre à terre, décisive pour l’avenir du pays, contraste singulièrement avec les envolées émotionnelles, les cris de bêtes blessées et les menaces grossières que les pontes comme les militants de l’UDC répandent depuis dimanche soir par monts et par vaux.

Ainsi Yvan Perrin, à propos des insultes de Blocher: «J’ai la même douleur mais je tente de l’intérioriser». Ou Oskar Freysinger promettant de «lancer une initiative populaire si la situation économique se dégrade à la suite de cette votation». Et le cri du cœur de ce jeune militant vaudois: «Belle journée pour les corbeaux, le garde-manger est désormais ouvert.»

Même le conseiller national Yves Nidegger, qu’on dit si nuancé, si intelligent, en appelle ouvertement au sabotage malhonnête: «En plus, le chômage va augmenter. On pourra toujours argumenter que c’est à cause de la libre circulation.»

Et que dire de cette fine réflexion du conseiller national saint-gallois Lukas Reimann? «Dans trois ans, ce sera le tour de la Croatie de frapper à la porte. Nous remettrons ça. Les Balkans ont encore moins la cote que la Roumanie et la Bulgarie.»

Non, ce n’est pas Blocher seul qui radote, mais tout le parti, préoccupé avant tout d’engranger les suffrages de la peur et de la déraison, sans grand souci du bien commun.

Mais comme le constate un autre quotidien roumain, «Gandul», «heureusement, les Suisses sont des gens rationnels». Et donc, dans leur écrasante majorité, loin de cette UDC qui se révèle dans le fond la plus naïve, et sûrement la moins patriote de nos formations politiques.