Conséquence du climat d’incertitude économique, les grandes fortunes se bousculent pour s’établir en Suisse. Les ventes et les prix sont en forte progression, y compris en ce début d’année.
C’est un effet collatéral inattendu de la crise économique. Qui, en l’occurrence, profite à l’immobilier suisse de prestige. Les grandes fortunes étrangères, redoutant l’instabilité et anticipant des réformes fiscales dans leurs pays (où les caisses étatiques se vident), montrent un soudain empressement à vouloir s’établir en Suisse.
«La demande est au plus haut pour les biens immobiliers, spécialement à Genève. La Suisse reste une valeur sûre et stable», confirme Karim Stadelmann, copropriétaire de la filiale helvétique de Quintessentially, une entreprise de conciergerie au service de clients fortunés, essentiellement étrangers. Une observation confirmée par Annabelle Waite, directrice pour la Suisse de la gérance Pure International, l’un des leaders internationaux de l’immobilier de luxe: «Nous sommes très sollicités. Toujours plus de personnes souhaitent se domicilier en Suisse. »
On le sait, grâce à sa réputation de sécurité, de fiscalité attractive et de tranquillité politique, la Suisse a toujours été bien placée pour attirer les grandes fortunes de toutes nationalités. Or, aujourd’hui que la crise charrie son lot d’incertitudes, le pays apparaît plus que jamais comme une valeur refuge, d’autant que les taux d’intérêt y ont atteint des valeurs historiquement basses et que les prix au mètre carré demeurent raisonnables en comparaison internationale. Et ce même si les prix de certaines propriétés battent des records.
Cet emballement surprend d’autant plus que les années précédentes ont déjà été très profitables pour le secteur de l’immobilier de luxe. Et même si, en nombre de transactions, les propriétés de très haut standing ne représentent qu’une part infime du marché, le poids financier de ce segment n’est pas négligeable selon les régies.
«La demande en 2008 a été exceptionnelle, relève Claude Atallah, directeur des ventes de Finest Properties, le département haut de gamme de la régie genevoise SPG. Notre chiffre d’affaires dans le luxe a augmenté de 40%, en particulier grâce aux biens de plus de 20 millions. Ce montant représente près d’un tiers du chiffre d’affaires total de la vente résidentielle. Et la tendance observée depuis janvier, un mois traditionnellement calme, indique que la demande ne faiblit pas.»
Chez Oberson Avocats, étude genevoise spécialisée dans le conseil aux étrangers fortunés qui s’est notamment occupée de l’établissement en Suisse du pilote britannique de F1 Lewis Hamilton, on relève le même phénomène. Xavier Oberson détaille: «Il est certain que la demande n’a en tout cas pas baissé. En ce qui nous concerne, nous sommes un peu moins sollicités par les ressortissants de l’Hexagone depuis l’introduction en France, l’an dernier, d’un bouclier fiscal plus favorable aux grandes fortunes. Mais globalement, les demandes continuent d’affluer.»
Elles proviennent essentiellement de Russie, du Moyen-Orient ou d’Afrique, s’agissant de propriétés de plus de 20 millions, note Lennig Pédron, responsable marketing au département prestige de la régie genevoise Brolliet. «Sur ce segment, la crise n’a rien changé. Simplement, nos clients nous demandent encore davantage de discrétion. Pour les biens d’une valeur inférieure à 5 millions, la situation est un peu plus contrastée. Le marché donne quelques signes d’un ralentissement.»
Mais pour l’heure, aucun fléchissement n’est à signaler, si l’on en croit David Colle, directeur de Luxury Places, un cabinet lausannois spécialisé dans les transactions immobilières de prestige sur l’arc lémanique: «La majorité des biens dont nous nous occupons valent entre 3 et 10 millions et, dans le canton de Vaud comme à Genève, la demande existe. La preuve, sur le mois de janvier, notre chiffre d’affaires est en augmentation par rapport à la même période de 2008. Les transactions deviennent plus difficiles et nous capitalisons sur des contacts amorcés l’an dernier, mais nous nous attendons néanmoins à une bonne année.»
«Tout se négocie beaucoup plus qu’avant mais il y a aussi de belles opportunités; et les vendeurs ne sont pas toujours mal lotis», fait remarquer Karim Stadelmann. A l’image, sans doute, des propriétaires anglais ruinés, contraints de se séparer de leur bien: «Ces derniers font malgré tout une bonne opération grâce au taux de change de la livre sterling, qui a drastiquement chuté par rapport au franc. L’an dernier, un chalet vendu 10 millions de francs rapportait environ 4 millions en livres. Aujourd’hui, il en vaut dans les 6…»
