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Utilisez vos têtes (mais pas trop quand même)

Grâce à la chute spectaculaire de l’icône Fernand Cuche, on sait assez précisément ce qu’un politicien, ici, maintenant, ne doit surtout plus être. Si l’on en croit du moins les médias tentant d’expliquer pareille gamelle d’un homme jadis si populaire.

Fernand Cuche, nous dit-on, a été «victime de son franc-parler». On en déduira que sans le maniement constant et virtuose de la si décriée langue de bois, un politicien peut être considéré comme électoralement mort. Fernand Cuche, ajoute-t-on, a perdu toute crédibilité en plaidant pour une activité de Conseiller d’Etat réduite à 50%. On en déduira que s’il n’est pas une bête de travail debout aux aurores et couché à point d’heure, un politicien peut être considéré comme électoralement kaputt.

Fernand Cuche en outre a commis l’irréparable crime d’oublier le déblaiement de la neige sur les routes neuchâteloises une nuit de Saint Sylvestre. Il se serait ainsi montré outrageusement «contemplatif» — la neige, c’est si joli et tellement poétique. On en déduira que s’il n’est pas un automate au nez pragmatique toujours plongé dans la sale réalité et les petits besoins mesquins de ses administrés, un politicien peut être considéré comme électoralement cuit.

Fernand Cuche s’est ainsi vu accusé de «dilettantisme», d’être bêtement resté «un idéaliste qui prenait le temps d’observer le monde». On en déduira qu’un bon politicien ne peut être que cynique et pressé.

Dans le même monde de brutes efficaces, on sait désormais, grâce à l’UDC valaisanne, ce qu’une affiche politique, ici maintenant, peut être, sans risquer l’interdiction ni les poursuites judiciaires. Elle peut être «outrancière», «de mauvais goût», «dénoter une manque d’ouverture d’esprit et de tolérance», «jouer sur les peurs», elle n’en sera pas pour autant discriminatoire.

C’est ce qu’a décidé le Tribunal fédéral à propos d’une affiche montrant des musulmans prosternés en prières devant le Palais fédéral et dont on n’aperçoit que les postérieurs, surmontés de ce délicat slogan: «Utilisez vos têtes! Votez UDC.»

Certes, ces musulmans-là n’étaient venus montrer leurs derrières sur place fédérale que pour protester contre les fameuses caricatures du prophète parues dans un journal danois. Ils n’ont eu, en somme, que la monnaie de leur pièce puisque le TF a fait prévaloir «l’importance de la liberté d’expression» sur la stigmatisation d’un groupe. Même Tariq Ramadan, à sa manière chafouine, en convient: «Il vaut toujours mieux se tromper en faveur de la liberté d’expression.»

D’autant plus que les sensibilités collectives sont devenues ridiculement épidermiques. Nombre de Suisses se sont ainsi sentis cruellement blessés par les remarques du ministre allemand des finances Peer Steinbruck, qui avait qualifié les confédérés cramponnés au secret bancaire «d’Indiens fuyant devant la cavalerie» européenne.

L’écrivain Hugo Loetscher dans un long texte sur la prétendue identité suisse moque subtilement cette réaction d’enfants gâtés: «Certaines déclarations de politiciens suisses donnent plutôt l’image d’un peuple d’hommes des cavernes. En comparaison, être assimilé à des Indiens est un progrès culturel.» On voit bien que tout le monde, suivant le point de vue d’où l’on tire, peut s’estimer bafoué. A part peut-être les hommes des cavernes grâce à leur place privilégiée en début de chaîne.

Histoire néanmoins de ne pas laisser triompher trop facilement la brutalité grossière, il restait une porte de sortie évidente à propos de l’affiche UDC: la condamner pour publicité mensongère. Avec ses appels incessants à l’émotion crasse et aux tripes, dans une rhétorique plus proche du stade anal que de la fine fleur orale, avec ses coups souvent très en dessous de la ceinture, voter UDC c’est rarement, sinon jamais, utiliser sa tête.