LATITUDES

«La météo du week-end m’a fait penser à l’Apocalypse»

En ces fêtes de Noël, un vent furieux a décroché une télécabine et réveillé des peurs millénaristes. Dans quelques jours, les compteurs seront remis à zéro.

Bourrasques de pluie, grondements de tonnerre, arbres déracinés, retards ferroviaires, et un vent qui dépassait les limitations de vitesse sur les autoroutes… En ce dernier dimanche d’avant l’an 2000, les Européens ont pu se donner des frissons à bon marché et s’imaginer, en contemplant le ciel, que la fin du monde était imminente.

Le chiffre du diable apparaissait soudain dans celui de l’année qui s’achève, tandis qu’un mauvais film d’Arnold Schwarzenegger annonçait l’Apocalypse pour ces fêtes de Noël. La remise des compteurs à zéro nous réserverait-elle un grand bug divin?

Pour un peu, on aurait pu entendre une prédication sinistre de Paco Rabanne au journal télévisé, entre ces images du Pape courbé comme sa crosse et les ravages d’une météo qui a fait des dizaines de victimes en Europe. Face à l’écran, dimanche soir, les téléspectateurs superstitieux ont pu broyer des idées aussi noires que la marée qui englue les longues côtes bretonnes.

Il suffisait pourtant de sortir de chez soi pour s’apercevoir qu’une joyeuse humeur s’était emparée des espaces publics. Dans les cafés, les gares et les trains, on pestait contre les caprices du ciel mais on se parlait comme jamais. Les voyageurs s’échangeaient clins d’œil et sourires compréhensifs, racontaient leurs anecdotes de voyages retardés et d’arbres déracinés en Appenzell-Rhodes-Extérieures.

Comme d’habitude, bien sûr, on ne parlait que du temps. Mais pour une fois, il y avait matière: «Le vent a fait tomber une télécabine à Montana-Crans, deux morts», annonçait une grand-mère à la gare de Lausanne. «Il n’a jamais fait aussi chaud à Noël», disait sa voisine. «Le train s’est arrêté à Bienne et nous avons dû poursuivre le voyage en autocar jusqu’à Neuchâtel», racontait un couple suisse-allemand.

Il était facile de voir dans cette météo déreglée un signe annonciateur de malheurs à venir. Un jeune homme parlait de Nostradamus. «Les éléments se vengent, il fallait bien s’y attendre», disait la grand-mère d’un air entendu. La grande peur de l’an 2000, peut-être?

Pour les victimes des intempéries et pour leurs familles, bien sûr, cette année 99 laissera un souvenir symboliquement chargé. Mais qu’en pensent ces populations turques qui, il y a quelques mois à peine, ont connu un tremblement de terre mille fois meurtrier? Que pensent les Vénézuéliens de cette dernière année avant l’an 2000? Que pensent les familles tchétchènes du chiffre 1999?

N’oublions pas qu’au-delà des parapluies retroussés et des retards de train qu’on a pu connaître par ici, le siècle qui s’achève reste le plus meurtrier de l’histoire humaine. Et cela n’a rien à voir avec Nostradamus, ni avec une quelconque vengeance des éléments sur la folie des hommes.

L’an 2000 sera ce qu’on en fera. Et demain, ici, les trains arriveront à l’heure.